La deuxième grande conférence publique co organisée par le Service Pastoral pour la Formation et l’Accompagnement des Responsables (SEPAFAR), le Réseau des Jeunes pour l’Intégration Africaine (RJIA) et le groupe Bayard Presse, s’est tenue bien à propos dirait-on, dans le contexte socio politique que vit notre pays. C’était le vendredi 13 février à la maison des jeunes et de la culture Jean-Pierre GUINGANE, à Ouagadougou. On le sait, la préoccupation politique est bien loin des agendas de ses trois groupes qui ont provoqué cette conférence, mais pour des structures qui « partagent en commun la foi en Dieu, la foi en l’homme et l’amour de la patrie » selon les mots du Père Yves Marie Joseph TANGA curé de la paroisse universitaire et fondateur du SEPAFAR, inviter la population à participer à une conférence au thème plus qu’actuel « Parole de Dieu, vérité, justice et réconciliation en Afrique », est dans l’ordre naturel des choses. Bien plus, lorsque cette communication est livrée par un prélat qui fut président de la Commission vérité, justice et réconciliation au Togo, Mgr Nicodème BARRIGAH -BÉNISSAN évêque d’Atakpamé et président de la commission Episcopale justice et paix dans la conférence épiscopale togolaise.
Description du contexte.
Dans une sorte de captatio benevolentiae, le communicateur a reconnu le patriotisme du peuple Burkinabè exprimé dans les événements de fin octobre 2014 et l’en a félicité. La description ensuite qu’il a faite du contexte socio politique africain, avec la terreur menée par des groupes bien connus, qui se délectent en prolongeant jour après jour le nombre de pays pris dans le tourbillon de ces barbaries inexplicables, devrait incliner l’âme africaine aux questionnements. Mais le prélat est obligé de reconnaitre d’emblée que pour philosopher, il faut d’abord exister. Trouver donc la solution à ces crises que provoquent des extrémistes religieux se présente alors comme un impératif. Surtout lorsque s’ajoutent à ces atrocités, la question des mandants présidentiels qui ne font qu’attiser et enflammer les tensions. C’est tout le mot donc, de tous ces mécanismes de sorties de crises initiés ça et là sur le continent africain, des mécanismes où assez régulièrement, l’Eglise a été sollicitée comme actrice de choix pour jouer un rôle de catalyseur, qui appelle au dialogue et à la réconciliation. Dans ces engrenages, relève le communicateur, l’Eglise n’a pas toujours connu les applaudissements, et a dû déjouer parfois les pièges de l’instrumentalisation. Autant d’écueils dans ces mécanismes qui auraient pu dissuader l’Église à y poursuivre son rôle fondamental de quêteuse de paix, mais qui résolument attachée à sa responsabilité prophétique au sein de ce monde terrestre, n’a jamais reculé, convaincue que, « pour le fidèle du Christ l’évangile se présente comme le repère pour tout agir » selon les mots de Mgr BARRIGAH paraphrasant Africae Munus.
Le phare de la Parole de Dieu
La parole de Dieu selon lui, « nous pousse à agir pour le bien » et « faire de la politique pour le chrétien ajoute-t-il, c’est incarner dans ce monde les valeurs de l’évangile ». Tout discours idéaliste ou utopiste n’y a pas sa place. L’évangile est vérité, il ne comporte en lui rien de rêveur. Il se démarque des procédés de « l’utopie qui trace et donne les plans de la cité qu’il faut construire et imposer », et propose « la conversion comme chemin pour faire advenir le règne de Dieu » le vrai règne. C’est ce qui fonde la conviction de celui qui a présidé aux commandes de la commission vérité justice et réconciliation du Togo. Il croit en l’efficience des médiations de l’Eglise qui doit toujours fonder son action, sur le respect de la dignité de la personne humaine, la recherche du bien commun, la subsidiarité et la solidarité. Selon Mgr BARRIGAH, la conjugaison de ces valeurs essentielles directrices de l’enseignement social de l’Eglise, avec les quatre vertus de la vérité, la liberté, la justice et la charité, sont le socle permanent où l’Eglise appelée à la méditation, puise sa force pour accomplir au mieux possible sa mission.
La médiation ne dispense pas de l’effort.
Pour le communicateur, ces exigences auxquelles l’Eglise appelle le continent africain, baignent dans un environnement où l’insécurité croit depuis quelques années. Le phénomène du terrorisme en effet, et les expressions d’extrémisme religieux, se font de plus en plus menaçants. Malgré tout pense Mgr BARRIGAH, les pays africains doivent garder les yeux tournés vers la possibilité de cette vie harmonieuse Toute chose qui cependant ne pourra se réaliser, tant que la soif du pouvoir ainsi que l’exploitation de l’inculture des populations ne cesseront pas d’être des terreaux où surfent à loisir et sans vergogne les politiques africains. Ce sont d’ailleurs autant de tares que les pères synodaux des deux derniers synodes qui ont principalement intéressé l’Afrique ont relevées, et qui décrivent avec justesse, ce contexte africain où l’Eglise est interpellée.
Le pardon inscrit dans les veines de l’Afrique
Selon Mgr BARRIGAH, il est courant qu’au sortir d’une guerre ou d’une période de répression politique, chaque société en ses membres et dans la volonté de reconstruire, doit réapprendre le vivre ensemble. Pour cela, elle sait également qu’elle ne peut restaurer la justice en laissant dans l’impunité des crimes commis. Voila qui explique donc l’expérience de Nuremberg puis celle de l’Afrique du Sud qui ont conforté le monde entier et l’Afrique spécialement, dans cette option de consulter des mécanismes réparateurs et canaux de justice. La raison selon le prélat Togolais, partageant son expérience de réconciliateur, est que « l’on estime qu’il existe une certaine harmonie entre l’esprit de ces mécanismes et la culture africaine ». L’Afrique dans sa tradition est tournée vers la réconciliation, parce qu’elle porte en elle-même comme par immanence, les pierres d’attente, valeurs fleuron de ces vertus de pardon. Ajouté à cette réalité, la notion du pardon si chère à la religion et l’attachement de l’Africain au religieux, voici livré, l’ultime secret de la raison qui pousse à proposer des figures religieuses en Afrique pour présider souvent ces mécanismes de réconciliation. Ceux-ci doivent servir à défendre le droit de savoir la vérité, la justice, de conduire à la réparation, et assurer les garanties de non répétition des crimes jugés. Un dernier aspect à l’importance capitale selon Mgr BARRIGAH, car en définitive, ce qui est poursuivi est de pouvoir tourner la page d’une histoire et d’avancer. Objectifs nobles pour l’atteinte desquels, un long processus est nécessaire.
Le laïcat catholique interpelé
L’Eglise est bien consciente de la nécessité de prendre le temps pour l’accomplissement de sa mission dans le domaine socio politique. Puisant dans les richesses des encycliques et des enseignements papaux, elle a toujours cherché en surmontant sans cesse les obstacles du découragement, à « rallumer l’espérance », à « aider les concitoyens à ne pas sombrer dans le désespoir », « à défendre les catégories défavorisées », et cela sans jamais céder le pas « à un discours lénifiant et flatteur ». Mais relève le communicateur pour finir, l’implication de l’Eglise à cause de son impartialité l’honore sans conteste, cependant il est à déplorer, le fait que ce soit souvent vers la hiérarchie que se tourne la société, elle qui songe peu au laïcat et à son aptitude à remplir ce rôle. Pourtant ce laïcat catholique se sait investi par la même Parole de Dieu, et est bien conscient du ferment qu’il doit être dans cette société. Est-il venu le moment pour l’épiscopat africain de titiller « son » laïcat pour qu’il prenne ses responsabilités ?
Abbé Joseph KINDA