- Le prophète Joël
Avec le mercredi des cendres, à débuté, pour les chrétiens, le carême. Le mot carême vient du latin « quadragesima », qui signifie quarantième, le quarantième jour étant le jour de Pâques. Ce temps, pour les chrétiens, rappelle des événements de l’Ancien et du Nouveau Testaments, comme par exemple les années passées par Israël dans le désert (Ps 94,10) et les jours de jeûne de Jésus au désert, où, à la fin, il fut tenté par le diable (Mt 4,1-11 ; Mc 1,12-13 ; Lc 4, 1-13). Ces événements ont une valeur didactique.
Du mercredi des Cendres, qui rappelle que la vie sur terre n’est qu’un passage, à la nuit de Pâques qui montre que l’Éternité attend les hommes, il y a quarante jours de préparation. Pour atteindre ce nombre symbolique, il faut enlever les cinq dimanches du Carême ainsi que le dimanche des Rameaux, qui ne sont pas des jours de pénitence, mais de fête.
Le jeûne, qui est un des principaux aspects du carême, a pour but de donner soif et faim de Dieu et de sa parole (Mt 4,4). Ainsi, le carême est un temps qui, selon le Pape Benoît XVI, dans son message pour le Carême 2007, est « pour tout chrétien une expérience renouvelée de l’amour de Dieu qui nous est donné en Jésus, amour que chaque jour nous devons donner à notre tour au prochain, surtout à celui qui souffre le plus et est dans le besoin. »
Les prophètes sont des hommes choisis par Dieu, pour transmettre un message spécifique à son peuple. Leurs interventions constituent essentiellement des rappels à l’ordre, parce que l’Alliance que Dieu a conclue avec son Peuple sur le mont Sinaï, à sa sortie d’Egypte, cette Alliance donc est conditionnée par l’obéissance et la fidélité à Dieu et à ses commandements. Ces interventions comportent aussi bien des conseils stratégiques que des consolations en cas de détresse, ou des encouragements à mieux faire ou encore des mises en garde contre des styles de vie contraires à l’Alliance et qui entraineraient des conséquences désastreuses. Contrairement à ce que l’on pense souvent, le prophète n’est pas quelqu’un qui annonce le malheur, mais quelqu’un qui dénonce les attitudes qui conduisent au malheur.
Ainsi, comme le faisaient les prophètes à l’égard du peuple de Dieu qu’ils conduisaient sur le droit chemin, aujourd’hui encore, à travers leurs prophéties, ils se proposent de nous accompagner et nous conduire au cœur de notre désert et au désert de notre cœur, à la suite de Celui-là même qui nous donne ce temps favorable de conversion, le Christ Jésus, avec lequel nous voulons vaincre le mal et son auteur, par les armes de la prière, du jeûne, de la pénitence et de l’aumône.
A la suite des trois grands prophètes, à savoir Isaïe, Jérémie et Ezéchiel, des prophètes aux textes longs et prodigieusement dynamiques, riches, la Bible conserve des textes courts, voire partiels, de douze autres prophètes non moins importants par leurs messages. Au nombre de ces douze prophètes, qu’on appelle souvent les petits prophètes à cause de leurs textes courts, se trouve le prophète Joël. Vous l’aurez bien compris, c’est sa figure qui vient en première position dans la série de présentation des prophètes. Et pour cause, la liturgie de la parole du mercredi des cendres, qui marque donc le début du carême chrétien, propose dans la première lecture, un passage du livre du prophète Joël (Jl 2, 12-18). Cela n’est pas sans raison ni sans importance. Et nous saurons pourquoi.
La personne du prophète Joël
Le nom de Joël signifie, en hébreu, « le Seigneur est Dieu. » Notons en passant que ce nom a été porté par plusieurs personnages de l’Ancien Testament. Comme par exemple dans 1Samuel 8, 2 où il est question de Yoël, l’aîné des fils de Samuel. Le nom du prophète Joël est mentionné d’une façon plus spéciale au 1er verset de son livre à travers le nom de son père Pétouel qui veut dire « simplicité de Dieu ». Nous y lisons ceci : « Paroles du Seigneur, qui fut adressée à Joël, fils de Petouel » (Jl, 1,1). Le prophète Joël était originaire du royaume de Juda, et il demeurait à Jérusalem. La place que le temple, la ville de Jérusalem et la tribu de Juda occupent dans plusieurs passages de son livre (1,13; 2,1, 14-15, 17, 23,32 ; 3.1, 6,16-17,19-21) nous permet de dire cela. En outre, aucun royaume des dix tribus n’est même pas nommé dans toute sa prophétie.
L’époque du prophète
Le prophète Joël a vécu et exercé son ministère vers l’an 870 avant Jésus Christ, avant deux grands prophètes, plus précisément Jérémie et Isaïe qui ont vécu, quant à eux, au temps des invasions chaldéennes et assyriennes. Le prophète Joël vient également avant le prophète Amos qui parle des luttes entre Israël et la Syrie (Am 1,3), ce dont ne parle pas Joël. C’est le prophète Abdias qui est contemporain du prophète Joël, en ce sens qu’il parle des mêmes ennemis c’est-à-dire des Edomites dans tout son livre, des Philistins au verset 19 et des Phéniciens au verset 20. Ce qui permet de dire aussi que le prophète Joël vient avant les prophètes dont nous avons parlé, sauf le prophète Abdias, c’est que ces prophètes le citent ou reprennent certains de ses passages.
Le contexte où le prophète Joël a exercé son ministère
A l’époque du prophète Joël, l’autorité sacerdotale était prépondérante en Juda et le pouvoir royal un peu faible, sinon même complètement effacé. Pour en comprendre les vraies raisons, il suffit de penser à l’époque désastreuse durant laquelle la reine Athalie, femme de Joram, roi de Juda, chercha à exterminer entièrement la famille de David, afin d’établir en Juda le culte de Baal, une divinité païenne dont le Seigneur avait interdit le culte parmi son Peuple. Le jeune Joas échappa au massacre par la sollicitude et la vigilance du grand-prêtre Jehoyada qui entreprit de grandes réformes. (2R 11, 1-3 et 2Ch 22, 10-12). Tel est l’état des choses en face duquel nous place la prophétie de Joël, le contexte dans lequel il a vécu et exercé sa mission. Mais la circonstance qui donna sens à la mission prophétique de Joël et motiva son message au peuple de Juda, fut la dévastation de la Terre Sainte par une invasion de sauterelles qui dura plusieurs années. A cette calamité se joignait une sécheresse persistante. Joël reçut la mission de la part de Dieu, mission qui consiste à faire comprendre au peuple ce que voulait lui dire son Dieu par ces fléaux dont il le châtiait si rudement. Son texte, très court, part de ces événements pénibles, pour appeler au repentir et annoncer le « Jour du Seigneur » et une effusion régénératrice de l’Esprit de Dieu. Nous comprenons alors pourquoi un passage de son livre est proposé le mercredi des cendres : le carême est un temps où Dieu répand généreusement son Esprit régénérateur dans les cœurs qui se disposent à le recevoir, à travers une vie de repentir et de conversion vraie.
Comment se présente le livre du prophète Joël ?
Le prophète Joël n’y est pas passé avec le dos de la cuillère, pour appeler à la conversion du cœur, face à l’imminence du « Jour du Seigneur », un des principaux thèmes de son livre. C’est ce qui saute à l’œil puisque dès l’entame de sa prophétie, il décrit la calamité présente dans toute sa laideur et dans toute sa sinistre grandeur. Et aussitôt, dans le chapitre suivant, il enfonce le clou en décrivant encore une autre calamité qui viendra dans le futur, bien plus redoutable et qu’il appelle le « Jour du Seigneur » dont le prélude est le premier fléau dont il a parlé. Ce « Jour du Seigneur » n’est ni plus ni moins que l’anéantissement complet du peuple de Dieu qui est en Juda. Face à cette situation inéluctable, la seule attitude qui sied est l’observance d’un jour solennel de jeûne et de privation, de deuil et d’humiliation auxquels le prophète Joël invite le peuple de Dieu tout entier. Le but est d’obtenir du Seigneur réparation des conséquences du premier malheur et aussi, par extension, la prévention du second malheur (Jl 1, 2-2,17).
Il annonce la miséricorde de Dieu se laissant fléchir par l’acte de repentance de son Peuple. Une miséricorde qui se traduit par une triple bénédiction de Dieu à son Peuple: d’abord, Dieu fait la promesse d’écarter de son Peuple l’ennemi qui menaçait de l’exterminer complètement (Jl 2, 20-21) ; ensuite, il promet de rendre à Israël la prospérité que le fléau actuel lui avait fait perdre (Jl 2, 22-27). Enfin, Joël annonce à Israël une grâce plus grande que toutes celles qu’il a reçues jusque-là, à savoir une pluie spirituelle qui l’arrosera et le vivifiera entièrement, l’effusion du Saint-Esprit (Jl 2, 27-32).
Le chapitre suivant, c’est-à-dire le chapitre 3 est une description exhaustive de la bénédiction finale, en ce sens qu’elle est décrite sous deux aspects. Le premier aspect est le « Jour du Seigneur » qui est un jugement dont Juda a été épargné, mais qui va frapper les païens, c’est-à-dire les peuples s’étant coalisés contre Juda qui a été entièrement renouvelé par l’Esprit Saint (Jl 3, 1-17). Deuxième aspect, la grâce, qui est étendue aussi bien au Peuple de Dieu qu’aux peuples païens qui se sont joints à lui. Eux aussi sont comblés de la grâce de Dieu par l’habitation du Seigneur à Sion (Jl 3, 18-21).
Le message du prophète Joël
Tout ce que nous venons de dire nous fait comprendre à présent, pourquoi le livre du prophète Joël est lu le jour du mercredi des cendres. En effet, l’acte de pénitence réclamé par le prophète Joël constitue le point central de ses interventions. Il est présenté d’une part comme une cause et d’autre part comme effet. Comme cause, l’acte de pénitence appelle la miséricorde et la bénédiction de Dieu sur son peuple. Celui-ci échappe au « Jour du Seigneur » qui est un type de jugement final sans complaisance, puisqu’il entraîne l’extermination de Juda. Si le Seigneur renonce à ses menaces contre son Peuple qui a bafoué son Alliance, c’est à cause de sa repentance. Comme effet, l’acte de pénitence ou de repentance est une réponse aux menaces proférées par l’envoyé de Dieu contre son Peuple : invasions de sauterelles, vision du « Jour du Seigneur ». « Jour d’obscurité et de sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres ». De telles menaces ne sauraient rester sans effets. Pour y survire, Juda est invité à faire pénitence de tout son cœur. Les châtiments dont Dieu a menacé son Peuple a produit comme effets sa repentance. En conclusion, l’on peut bien affirmer que le prophète Joël est vraiment le prophète de la pénitence. Face à la colère de Dieu, causée par les infidélités de son Peuple, il invite à la conversion du cœur par le jeûne, les larmes, la prière, le deuil. Le jeûne, les larmes, la prière et le deuil, sont des signes extérieurs du sentiment intérieur animant le cœur. Ils expriment la disposition intérieure d’une personne qui prend conscience de sa pauvreté et de sa misère face à la sainteté de Dieu dont il demande, à travers ces gestes extérieurs, le pardon de ses infidélités.
Déchirer son cœur et non pas ses vêtements
« Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil…Déchirez votre cœur et non pas vos vêtements», dit-il. Le cœur, c’est le centre de la personne humaine. De la proviennent ses pensées et ses sentiments ; c’est là que se trouvent les racines de ses décisions, de ses choix, de ses actions, qu’il accomplit ensuite en toute liberté. Ce qui vaut à dire que l’acte de conversion doit être profond, vrai, sincère, nous engager du fond de nous-mêmes et engager aussi toute notre personne.
« Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (2, 13). Déchirer ses vêtements, à l’époque, était une expression de la colère face à un grand scandale ; c’était aussi un signe d’affliction. Mais en disant de déchirer son cœur plutôt que ses vêtements, le prophète Joël nous enseigne que l’acte de conversion et partant la vie de foi en Dieu consiste avant tout à agir sur soi-même, à agir sur sa conscience et à agir sur ses intentions, pour que Dieu puisse les transformer, les renouveler, les convertir, les changer par l’effet de sa grâce. De ce fait, l’accent du carême ne doit pas être seulement mis sur des pratiques rituelles extérieures comme la récitation de prières interminables à n’en pas finir ; l’accomplissement d’actes de générosité qui sont sans influence sur notre vie ; mais aussi et surtout sur l’intériorité dans la démarche à accomplir. Il ne s’agit pas d’abord et seulement de priver son corps de nourritures et de boissons pour le discipliner, mais de libérer son cœur des pensées méchantes ; des décisions mauvaises et des sentiments pervers qui nous éloignent de Dieu et font du mal au prochain; enfin, il n’est pas question de dénoncer le comportement indigne des autres, mais de corriger son comportement indigne, dont la racine est dans le cœur.
La dimension communautaire du carême
Le prophète Joël s’adresse, non pas à des individus mais à toute la communauté de Juda et voici ce qu’il dit : « Revenez à moi de tout votre cœur…Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements… Sonnez de la trompette dans Jérusalem : prescrivez un jeûne sacré, annoncez une solennité, réunissez le peuple, tenez une assemblée sainte, rassemblez les anciens, réunissez petits enfants et nourrissons !» (2, 15-16). Le message est clair et ne souffre pas de débat : la conversion a aussi une dimension communautaire. Et alors, on ne saurait vivre le carême dans la solitude, claquemuré dans un individualisme absolu, préoccupé uniquement par son salut. On vit le carême avec les autres, en Eglise et avec l’Eglise. On ne se convertit pas seul pas plus qu’on ne se sauve pas seul, mais toujours avec les autres, c’est-à-dire en communauté et avec la communauté dont on partage les péchés.
Jean nous dit dans son évangile que Jésus vient souffrir, mourir et ressusciter pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (Jn 11,52). Que signifie rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés sinon les réconcilier entièrement avec Dieu par une action de la grâce sur leur conscience et leurs intentions, entièrement transformées, renouvelées et changées par Dieu lui-même ? « Revenez à moi de tout votre cœur…Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements… » Voici le moment favorable pour le faire. Et nous souhaitons qu’il en soit ainsi pour toutes et pour tous à qui nous souhaitons un bon temps de carême.
Abbé K. Alexis OUEDRAOGO