Vivre le carême avec le prophète Osée

Abbé Alexis K. OUEDRAOGO

 

 

Le prophète Osée

D’emblée disons que les oracles c’est-à-dire les prophéties d’Osée ont d’abord été donnés oralement sous forme de poèmes très courts. C’est par la suite que ceux-ci ont été mis sous forme de livre. Il est cependant très difficile de comprendre les passages à cause de leur disposition, tant il n’y a pas de logique entre eux. Pendant qu’on est sur un sujet, brusquement on se retrouve sur un autre et alors on a l’impression de sauter du coq à l’âne. Mais, le plus important est le message qu’ils contiennent.

Comme ses collègues, Osée s’adresse à tout le Peuple de Dieu à un moment donné de son histoire, profondément marqué par un désordre religieux et moral, social et politique. En outre, ce qui fait la caractéristique du prophète Osée, c’est que sa vie est étroitement liée à son ministère exactement comme le prophète Jérémie. Et en fait de vie, il est question de ses mariages successifs avec des femmes de mauvaise vie de surcroît, mais qui stigmatisent en réalité la qualité des relations entre Dieu et son Peuple infidèle.

Abbé Alexis K. OUEDRAOGO
Abbé Alexis K. OUEDRAOGO

Comment se présente la personne même du prophète Osée ?

Le nom du prophète Osée signifie, en hébreu, « salut, délivrance ». C’est le livre du prophète Osée qui nous donne une idée claire de sa personne. Ainsi, nous savons que la vie et le ministère du prophète Osée sont caractérisés par deux faits d’une grande importance : l’appel de Dieu qui lui est adressé (1,1) et son expérience conjugale on ne peut pas chaotique (ch. 1 et 3). C’est un trait qu’on ne saurait passer sous silence, au risque de ne pas comprendre son message. L’histoire est racontée dès l’entame de son livre au 1er chapitre à la troisième personne. Tandis qu’au 3ème chapitre elle est rapportée à la 1ère personne. Sur ordre du Seigneur lui-même, le prophète Osée va prendre pour épouse une femme du nom de Gomer, fille de Diblaïm (1,3), qui se trouvait être une prostituée et qui lui a été infidèle (1,2 ; 3,1).

Les mariages d’Osée : réalité ou un symbolisme ?

Réalité ou un symbolisme ? Les discussions sont âpres à ce sujet entre spécialistes. Pour ce qui nous concerne, c’est le message de cette situation qui importe le plus. Son but est de manifester l’infidélité d’Israël à l’égard de son Dieu pourtant fidèle, comme une femme adultère envers son mari. On sait qu’il y a d’autres gestes symboliques chez d’autres prophètes comme on en trouve chez Jérémie (13, 1-11, 19, 1-13) et chez Ezéchiel (4 et 5). Une autre réalité est que le prophète Osée vit cette situation dramatique dans sa chair et qu’il en souffre profondément : sa femme lui est infidèle. Et pourtant, il ne cesse pas de l’aimer d’un amour fidèle et immense. A travers cette expérience, Dieu parle à Osée. Il lui fait comprendre quelque chose que des mots ne suffisent pas à exprimer : sa propre souffrance à lui, Dieu, de voir son amour trompé, trahi, bafoué par un peuple infidèle. Comme Osée, Dieu vit le drame de l’infidélité de l’être aimé. Mais lui non plus ne cesse d’aimer celle qui déçoit son amour.

 L’époque de la mission du prophète Osée?

Ainsi que nous l’avons dit au début de cette présentation, Osée a exercé sa mission de prophète dans un contexte de désordre religieux et moral, social et politique. Le royaume d’Israël, dont Samarie était la capitale, au 8ème siècle avant Jésus-Christ est le cadre de la vie et du ministère du prophète Osée. Quelques vingt ans avant lui, le prophète Amos avait annoncé la Parole de Dieu à Israël, et dont le message est le même, à savoir la condamnation, à cause du mépris dans lequel les chefs du peuple tenaient la Loi divine, et en particulier ses exigences de justice, malgré un vernis de religion. Au moment où Osée prenait le relai, la destruction annoncée par Amos ne s’est pas encore produite. Mais la situation non plus ne s’est pas améliorée. On comprend donc que le prophète Osée doit annoncer le jugement et la condamnation.

 La mission du prophète, une mission incarnée

L’époque du prophète Osée, socialement parlant, était une époque de prospérité matérielle et économique. Politiquement parlant, c’était la paix parce que les deux grandes puissances d’alors, à savoir l’Egypte et la Syrie, s’étaient trop affaiblies et pour cette raison ne constituaient pas de menaces sérieuses pour Israël. Cependant cette prospérité n’était pas pour tout le peuple. Elle s’est édifiée au détriment d’une partie de la population, en particulier les petits paysans. La richesse a afflué vers les villes plongeant ainsi les villages dans une pauvreté extrême. Beaucoup de paysans ont été ruinés, soit par de mauvaises récoltes soit par des guerres meurtrières; ils ont dû aussi emprunter à un taux d’intérêt élevé et, ne pouvant plus rembourser, ils ont été contraints de vendre leurs propriétés. Osée s’insurge contre ce scandale qu’il dénonce avec la plus grande énergie (10,13 ; 12,8) L’appauvrissement de la majorité, contrastant d’avec le luxe de la minorité, est une des manifestations du péché d’Israël. Au plan politique c’est le comble puisque la violence et les complots sont monnaie courante.

 Le culte idolâtre est un point essentiel du livre du prophète Osée

Parler du culte idolâtre, contre lequel le prophète Osée s’est battu, c’est mettre le doigt dans la plaie du peuple d’Israël. Pour dire que c’était le péché le plus grave de la vie religieuse d’Israël. Osée dénonce non seulement des désobéissances à certaines lois, mais un véritable abandon de la foi au Seigneur qui a délivré Israël de l’esclavage d’Egypte. Le nom du Seigneur continue à être invoqué en Israël, certes. Il reste le Dieu du pays ; des sanctuaires lui sont dédiés, des sacrifices lui sont offerts. Mais le culte du Seigneur côtoie celui des idoles appelées les « Baals » et, bien souvent, imite les cultes païens des Cananéens. La contagion du paganisme est plus forte que le respect de la Loi de Moïse. Les Baals étaient des dieux de la nature, de la fertilité. Leur culte, qui comprenait la prostitution sacrée (acte fécondant), avait pour but de protéger la terre et d’assurer de belles récoltes. Pourquoi ne pas transférer de telles pratiques au culte du Seigneur? Des pratiques très faciles à suivre, puisque les Baals laissaient à leurs adorateurs une grande liberté quant à la conduite morale, pourvu que les rites religieux soient accomplis ! Voilà qui est plus commode que les exigences de la Loi divine. Ainsi, Israël invoque le nom du Seigneur et lui offre un culte (comme à Baal), mais se moque bien de sa volonté.

 Le message que nous livre le prophète Osée

Etant prophète du Seigneur, Osée ne saurait rester de marbre face à un tel scandale. Aussi résolut-il de s’attaquer à la racine même du mal. Il se doit donc de livrer le message du Seigneur à tout le peuple d’Israël. Mais curieusement, oui curieusement, le message que le prophète Osée communique au peuple d’Israël est d’abord et surtout la proclamation de l’amour fidèle et persévérant de Dieu. Mais c’est en même temps aussi un appel à la repentance et la menace d’un châtiment si Israël ne se repent pas. Son message suit trois grandes lignes.

D’abord, l’expérience conjugale du prophète Osée. Elle se trouve dans les chapitres 1 et 3 de son livre. Une expérience malheureuse dont naitront trois enfants. Le premier enfant, dont le nom Jizréel, signifie « Dieu sème ». Jizréel était le nom d’une vallée dont le souvenir évoquait un lieu de batailles (Juges 4,12-16) et de massacres (2 Rois 10:1-10). Le deuxième, Lo-Ru Hama signifie « Pas-Aimée ou Mal-Aimée », ou encore « Dont on n’a pas pitié ». Enfin le troisième et le dernier enfant, qui n’est pas du prophète lui-même, s’appelle Lo-Ammi et signifie « pas mon peuple ». Bien évidemment, ce sont des noms symboliques qui annoncent le rejet des enfants d’Israël à cause de leurs infidélités. Si les enfants d’Israël ne se repentent pas, pour revenir au Seigneur, leur Dieu, celui-ci les rejettera, il cessera de les aimer comme son peuple et alors il les livrera entre les mains de leurs ennemis qui les massacreront.

Puis, la trahison, par Israël, de l’amour de Dieu. L’alliance conclue entre Dieu et son peuple est ici comparée à un mariage. D’autres prophètes (Jérémie 2, 2 ; 3, 1-12; Ezéchiel 16 et 23 ; Isaïe 54, 5-10) vont reprendre ce thème aussi à leur compte. Jésus lui-même se présentera plus tard comme époux dans plusieurs passages des évangiles (Matthieu 22, 1-14, 25,1-13) et Paul parlera également de l’amour du Christ pour l’Eglise comme modèle de l’amour d’un mari pour sa femme (Ephésiens 5:25-23). C’est par amour que Dieu a choisi Israël et a fait alliance avec lui. Dans cette perspective, le péché, c’est avant tout la trahison de l’amour, l’infidélité, la prostitution.

Enfin, ce chapitre comporte premièrement une accusation d’infidélité, suivie de l’annonce d’un châtiment (2, 4-15). Au verset 7, les amants dont il est question sont bien entendu les Baals, c’est-à-dire les divinités païennes de la fécondité. Ils passaient donc en quelque sorte pour des « spécialistes » des récoltes. Mais Dieu rappelle que c’est lui seul qui fait germer le blé ou la vigne, qui donne l’huile ou la laine. Les Israélites seront punis par là où ils ont péché (2,11-15). Mais ces menaces sont en même temps un appel à la repentance (v. 8-9). Deuxièmement l’annonce de la réconciliation entre Israël et son Dieu, grâce à l’amour fidèle de Dieu (2,1-3 et surtout 16-25). Au-delà de la restauration d’Israël, ce passage annonce le salut en Jésus-Christ, œuvre de l’amour persévérant de Dieu.

 La vallée d’Açor

L’expression de la vallée d’Açor veut dire la vallée du malheur. Encore un nom symbolique et pour cela, elle devient une porte d’espérance. (v. 17). La relation entre Dieu et son peuple ne sera pas la crainte due à un maître, mais l’amour d’un mari fidèle pour son épouse. « Baal » signifie justement « maître » ou « seigneur ». Et la relation qu’il y a entre cette idole et ses adorateurs est du type du maître à l’esclave. Dans les versets 21-22, il est question de Justice et droit, des mots qui évoquent non seulement un juste traitement, mais aussi le souci que l’autre ne soit pas privé de ce à quoi il a droit (Ps 105,6). C’est tout à fait le contraire de l’injustice, mais pas de la miséricorde ou du pardon. Dieu promet aussi la fidélité. Entre temps, les noms des enfants du prophète Osée changent de nom, ou dans le cas du premier enfant, c’est-à-dire Jizréel, retrouve le vrai sens de son nom « Dieu sème ». Le symbole est en quelque sorte renversé : tandis qu’il annonçait le châtiment, il annonce désormais la réconciliation. Ce renversement de situation est le fruit de l’amour de Dieu, qui demande le retour et la repentance d’Israël (v. 16).

 Autres éléments du livre d’Osée

Il existe des éléments du livre d’Osée, qui ne se situent pas dans le contexte de son expérience conjugale et l’amour trahi de Dieu, et qui se trouvent çà et là sous formes de courtes prophéties non moins importantes. C’est cependant le même message du prophète qui est repris, mais autrement. Ils aident néanmoins à comprendre davantage le message du prophète Osée. Premièrement, la souffrance de Dieu qui voit son amour bafoué (3,1 ; 11,1-6 ; 11,8). Deuxièmement, l’infidélité d’Israël, qui constitue l’acte d’accusation qui est en fait une dénonciation de l’idolâtrie (4,11-14 ; 8,4-7 ; 8,13-14 ; 10,5 ; 13,1-2, etc.), une sorte d’absence de connaissance vraie de Dieu ; la confiance en soi et en sa force (7,8-12) ; la perversion du peuple (4,4-10 ; 5,1-7) ainsi que l’ambition des grands (7,3-7), enfin le refus d’écouter la Parole de Dieu (9,7-9). Troisièmement, l’annonce du châtiment (5,8-12 ; 10,9-10 ; 13,7-11). Quatrièmement la bonté de Dieu et la promesse de pardon et de réconciliation (6,1-6 ; 14,5-10). Enfin, cinquièmement, l’appel à la repentance (6,1 ; 14,1-4) : Dieu ne cesse d’espérer le retour de son peuple aimé. II le croit encore et toujours possible (5,15).

 Que dire en conclusion ?

Ceci : la mission du prophète Osée est la même que celle des autres prophètes, plus particulièrement du prophète Jérémie. Comme le prophète Jérémie, en effet, Osée voit venir la catastrophe inévitable et il a la lourde tâche de la justifier plutôt que de l’empêcher. Plus que jamais, ses prophéties sont d’actualité. Les croyants d’aujourd’hui constituent le nouveau peuple de Dieu. Et ce que chaque membre de ce Peuple doit savoir est que Dieu le poursuit d’un amour toujours fidèle et persévérant. Tandis que nous trahissons toujours l’amour de Dieu, Lui, nous aime d’un amour toujours fidèle. Comme les saletés d’une personne aimée ne donnent pas de la nausée, ainsi les péchés de ceux que Dieu aime ne sauraient le détourner d’eux. Dieu nous poursuit d’une miséricorde inépuisable, nous entourant de tendresse. Plus on est loin de lui, plus on est précieux à ses yeux. Ce temps favorable qu’est le carême est un temps de prise de conscience non seulement de notre misère mais aussi et surtout de la capacité de Dieu de nous libérer de cette misère, pour peu que nous voulions vivre selon l’Esprit de Dieu, en luttant contre le péché.

Osée n’encourage pas au laxisme et il n’est pas non plus permissif; loin s’en faut. Il anime plutôt la confiance en la miséricorde de Dieu, qui ne désespère jamais de notre capacité à revenir à lui. Autant Dieu croit et espère notre retour à Lui, autant il nous invite, nous aussi, à croire toujours possible la conversion des autres. Lui, qui nous fait miséricorde, attend de nous aussi miséricorde dans la confiance envers les autres, en leur donnant la possibilité de repartir à zéro, de recommencer une nouvelle vie. Ainsi, au lieu de se comporter comme un juge qui juge et condamne, il faut être un croyant qui aime, comprend et pardonne. C’est faire œuvre de conversion, ce à quoi Dieu nous invite par l’intermédiaire du prophète Osée, durant ce temps de Carême et durant toute notre vie. Puissions-nous y répondre, avec l’intention réelle de le faire, avec la volonté de faire tout son possible pour fuir le mal, avec la volonté de faire tous les sacrifices possibles et exigés pour y parvenir. Autrement nous ne pourrons recevoir cette grâce du pardon et Dieu ne pourra nous le donner.

Abbé K. Alexis OUEDRAOGO