Le jour approche où nous allons célébrer la solennité des solennités, « le premier jour de la semaine », le jour de Pâques. C’est la plus grande fête des chrétiens. On comprend alors qu’il faille la préparer pendant des semaines. On comprend également que la tristesse puisse habiter parfois les cœurs qui n’ont pas pu tenir parole. Mais faut-il vraiment baisser la garde parce qu’on a failli à la promesse faite à Dieu de changer de vie ? Faut-il croire qu’on a raté son carême ?
Pour n’avoir pas tenu aux bonnes résolutions prises en vue de bien vivre le temps de carême, je suis peut-être triste ces jours-ci, où le compte à rebours est commencé, qui me conduit inexorablement vers Pâques. Face au tentateur en effet, j’ai peut-être sans le savoir, négocié, cherché à atténuer, oublié ou manqué de fermeté, pour aller jusqu’aux bout de l’exécution des promesses faites au Seigneur de changer de vie. Je viens de faire ainsi l’amère expérience de ma cuisante incapacité à me tenir propre et digne face à ce Dieu qui m’aime malgré tout. Comment puis-je douter en effet qu’il m’aime, s’il a osé offrir sur la croix son fils, pour le salut d’hommes et de femmes, incapables de lui dire oui fermement et définitivement ?
Le soir de l’arrestation de Jésus, Pierre avant chacun de nous avait fait une belle promesse au Seigneur : « même s’il faut que je meure avec toi Seigneur, je ne te renierai pas » (Matthieu 26.35). La suite, nous la connaissons. Puis avant que le cop chante, c’est-à-dire avant même que les premiers rayons du soleil pointent et qu’un jour nouveau se lève, celui qui avec fracas avait promis de rester avec son Seigneur, se surprend d’y être revenu jusqu’à trois fois déjà ! L’écriture dit qu’ « il partit en pleurant amèrement ». Sans doute était-il retourné à son entreprise de pêche d’où Jésus l’avait appelé, avec la maussade conviction dans l’âme que c’était fini pour lui, et de se demander comment Dieu pourrait-il croire encore en lui ?
Si vous êtes à ce niveau de questionnement comme moi, laissez-moi vous dire que vous êtes en train de réussir votre carême. En définitive, celui-ci n’est-il pas un temps d’entraînement qui nous est donné pour acquérir le goût et la technique pour lutter contre Satan et ses embuches ? Il faut que nous puissions nous départir d’une certaine logique de « tunellisation », qui fait que souvent nous sommes plus obnubilés par la petite lueur d’une fenêtre que par l’océan de lumière qui nous environne et que nous ne percevons pas. Le temps de carême ne sert que pour nous aider à discipliner notre être pendant quarante jours en vue de mener durant le reste du temps de l’année, une vie qui plaise au Seigneur, parce qu’elle nous aura appris que l’autre, est la route qui nous conduit au Seigneur. Le carême nous est donné pour miser sur le prochain. Ce temps nous enseigne que si nous investissons sur l’autre, surtout sur le pauvre, l’étranger, le mal aimé, le laissé-pour-compte, nous misons à des taux aux intérêts incommensurables. Alors, qui nous interdira même après le carême, de continuer en redoublant d’ardeur dans la mise en application de ces bonnes résolutions prises à l’entame de ce temps dit favorable et qui court vers sa fin?
Sébastien Antoni, assomptionniste, pense que, dans l’aveu que nous faisons de ne pas être à la hauteur de nos ambitions, nous devons « prendre conscience que nous avons besoin d’être sauvés, parce que nos forces n’y suffiront jamais ». Il explique que c’est cela même qui constitue « le cœur de l‘Evangile », et ajoute que « la vraie question n’est pas tant de savoir si moncarême est réussi, mais s’il m’a donné l’occasion de me laisser aimer pour aimer à mon tour ». Ainsi dit, il est encore temps pour réussir son carême, pour aller jusqu’au bout du bien que nous avons promis de rechercher. Bientôt, nous entamerons la dernière ligne droite avec la semaine sainte. La température spirituelle va monter graduellement pour culminer avec le triduum pascal.
Les événements de la Passion selon frère Benoît, « ne célèbrent rien d’autre que ce don total de Dieu qui s’anéantit pour que l’homme puisse exister ». Il faudra donc que nous gardions cela en esprit, pour alors communier avec fruit à ce que nous célébrerons durant ces jours cruciaux pour notre foi. Dans ces dispositions, nous percevrons que la célébration de la Sainte Cène le jeudi saint, va marquer notre marche vers notre « christification », vers une étape où le Christ prendra plus place en notre être. C’est en définitive le but de notre vie. Mettons donc du cœur dans notre travail quotidien comme participation à cette montée vers la Christ. Quant à la célébration de la Passion, nous la vivrons comme la célébration de toutes nos misères humaines assumées par le Christ. Y entrer dans les dispositions de cœur que nous demande notre mère l’Eglise, c’est prendre acte de la « capacité qui nous est donnée d’assumer toutes nos trahisons, nos violences, nos souffrances, nos morts, comme des états passagers dans nos vies, qui ne peuvent nous séparer de l’amour de Dieu ». Elle nous ouvrira alors à la liturgie du Samedi Saint, où le silence nous fera saisir l’infinie petitesse de notre être, sa nudité, son extrême brièveté. En célébrant en effet le samedi saint, l’absence de Dieu dans nos vies, nous saisirons de l’intérieur que cette absence, « loin de nous conduire à la désespérance, creuse en nous le désir de la rencontre et nous permet d’exister » selon les mots du frère Benoit qui nous pose cette question : « Que seraient nos vies si Dieu les envahissait » ? Pour que nous existions, pour que nous parcourions notre chemin en pleine liberté, Dieu se retire, se fait discret, comme la maman qui guette de loin les premières expériences d’autonomie de son enfant. C’est le mot de la célébration du samedi saint. Nous aurons alors l’esprit ouvert à comprendre ce que nous vivrons le dimanche de Pâques, où nous célébrerons la Résurrection, la célébration de la Vie victorieuse de toute mort, qui nous lance l’invitation à choisir jour après jour le chemin de la vie.
Rien ne sert donc de nous attrister parce que nous n’avons pas tenu parole. Pour sûr, Dieu ne nous en veut pas. Au contraire, célébrons ces jours saints qui viennent, non pas en nous faisant violence pour être triste le vendredi Saint, angoissé le samedi saint ou exalté le jour de Pâque, mais « en habitant les événements habituels de notre vie dans une plus grande profondeur ». Une profondeur qui se réalisera dans le partage avec le pauvre, dans le soin que je porterai à ma famille souvent oubliée, dans le pardon que je refuse de donner, dans le règlement de mes dettes de denier de culte aussi. C’est vraiment avec Dieu que l’adage populaire qui veut qu’il ne soit jamais trop tard pour bien faire prend son sens. Face à nos manquements, Dieu ne nous condamne pas, il nous accorde toujours le temps pour nous ressaisir, parce qu’il croit en nous. Si nous croyons en Lui, alors nous pouvons encore réussir notre carême !
Abbé Joseph KINDA