La capitale kényane abrite ces jours-ci une conférence panafricaine dite exceptionnelle sur « l’accaparement de terres et la bonne gouvernance ». Selon le communiqué annonciateur de l’événement auquel prend part monsieur l’abbé Joseph KIENOU, secrétaire général de la commission Justice et Paix, « la conférence offrira notamment un état des lieux de l’accaparement de terres en Afrique, des études de cas de résistances contre l’accaparement de terre ainsi que les réponses apportées par l’Église et son engagement croissant sur cette problématique ». Ce n’est surement pas anodin que cette assemblée se tienne à quelques jours seulement de la tournée africaine du Saint-Père au Kenya, en Ouganda et en République Centrafricaine, lui qui en appelle au respect de la terre, notre bien commun à tous.
Cette conférence organisée par le (SCEAM) Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar avec la collaboration d’AEFJN (Africa Europe Faith and Justice Network), AFJN (Africa Faith & Justice Network) ainsi que de la CIDSE (alliance internationale d’agences de développement catholiques), rassemble 150 participants d’Afrique et du monde entier, y compris de nombreuses personnes impliquées dans la lutte contre l’accaparement de terres.
Alors que les campagnes en vue des élections présidentielles et législatives battent leur plein au Burkina Faso, ceux qui sont en quête de l’onction du peuple ainsi que le peuple lui-même, trouveront-ils le temps pour prêter attention à la problématique de « l’accaparement de terres » comme une question importante à prendre au sérieux, si l’on rêve d’une bonne gouvernance ? Le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et Madagascar, (SCEAM basé à Accra), cette association représentant toutes les conférences épiscopales catholiques d’Afrique et de ses iles, appréhende très sérieusement ce sujet. Depuis sa création en 1969, le SCEAM s’est continuellement inquiétée des problèmes liés au développement humain. C’est pour cette raison que les évêques du Burkina et du Niger parties prenantes de cette association, ont institué la commission « Justice et Paix », dont le but est d’être au service de la justice sociale, de la paix et des droits humains au Burkina Faso. La conférence en cours à Nairobi décrit la question comme « un problème frappant l’ensemble de l’Afrique et qui requiert une sérieuse attention au vu de son impact négatif sur la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance des communautés affectées ». Si les participants s’accordent à reconnaitre que « l’accaparement de terres est déjà responsable de l’éviction de leurs terres de centaines de milliers de personnes, les coupant des ressources naturelles dont ils dépendaient et menaçant leur moyens de subsistance », le contexte de notre pays qui connait de plus en plus des conflits autour de la terre, interdit de croire que nous soyons à l’abri de telles situations malheureuses. Certes la grande préoccupation de la présente conférence est de contrer l’envahissement de l’Afrique (qui rime avec expropriation des terres) par ces multinationales, mais à plus petite échelle, le phénomène s’exprime presque pareillement. Ce sont les plus nantis qui contraignent les pauvres à vendre leurs terres. Parfois, dans des cas d’installation pour une exploitation industrielle, une indemnisation unique pour la population locale est demandée – accompagnée, bien entendu, de la promesse d’emplois et de la construction de nouvelles infrastructures. Mais après la vente du terrain, il reste très difficile de faire respecter ces promesses. L’Eglise ne peut donc pas se taire, parce que le droit du pauvre est lésé. Dans l’encyclique du Pape « Laudato Si », le Saint-Père fait lui-même une approche du foncier où il dénonce l’exploitation des pauvres par les riches, tout en rappelant que « pour les populations indigènes, la terre n’est pas un bien économique mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles doivent interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs ». « Quand elles restent sur leurs territoires développe-t-il, ce sont précisément elles qui les préservent le mieux ». Peut-on comprendre que de telles vérités laissent de marbre, ceux d’ici ou d’ailleurs qui exercent notoirement ou subtilement des pressions sur des populations afin qu’elles abandonnent leurs terres au bénéfice des projets d’extraction minières ou agricoles?
Le mythe créé autour de la valeur pécuniaire de la terre est allé de façon vertigineuse au Burkina, à tel point que la notion de la terre comme patrimoine à léguer à la succession n’est plus à l’ordre du jour. Il suffit d’être attentif pour constater au sortir des villes du Burkina, comment les terres sont bradées par les populations au bénéfice des plus chanceux de notre société. Le prétexte du manque de terre pour loger tous ceux qui veulent vivre dans la capitale par exemple est connu, et contraint des milliers d’habitants de cette ville à évoluer dans des taudis où les conditions d’hygiène sont indescriptibles. Au même moment, de hautes murailles délimitant de grandes superficies, bordent les routes nationales, privant des yeux du voyageur le peu de nature qu’il lui reste à contempler durant le voyage. L’Eglise veut rappeler à tous, surtout aux expropriateurs, que le fait d’avoir un toit et un chez-soi est un droit élémentaire au même titre que l’accès à la santé et à l’éducation. Tout Etat qui se respecte doit exercer son droit de préemption dans le commerce de la terre, pour permettre à toute personne désireuse de se faire un chez soi, de pouvoir y arriver. Il faut que les mairies soient plus ingénieuses pour cesser de compter seulement sur la spéculation foncière en vue d’équilibrer leur budget. C’est dans de telles dispositions qu’elles tissent le nid des divisions devenues courantes. Il ne suffit pas de s’adonner à des discours démagogiques et lénifiants, il faut prendre à cœur de ne pas continuer à plonger le pays dans un processus où le riche accroit exponentiellement sa richesse au détriment du pauvre sombrant dans l’anéantissement et à la perte de sa dignité. En souhaitant que le prochain président du Faso lise les conclusions de cette conférence de Nairobi.
Abbé Joseph KINDA