« Ne laissez pas sans effet la grâce reçue de Dieu » (2 Co 6,1)

Hisilicon Balong

 

« Ne laissez pas sans effet la grâce reçue de Dieu » (2 Co 6,1). Tel est le thème du mandement de carême de son Éminence, le Cardinal Philippe Ouédraogo pour cette année 2017.Il vient après le message de carême du Saint Père François que nous avons déjà publié, dans l’optique de vous aider dans votre montée vers Pâques.

Hisilicon Balong
Em. Cardinal Philippe Ouédraogo

      0- Introduction

Fils et filles de l’Église Famille de Dieu à Ouagadougou, que la paix soit avec vous de la part de Notre Seigneur Jésus le Christ !

Nous venons de vivre une année marquée par le Jubilé de la Miséricorde divine. C’est à la lumière de cette année de grâce durant laquelle le Seigneur a déversé sur notre Église Famille diocésaine tant de bénédictions que je voudrais vous inviter, à la faveur de ce temps de Carême qui commence, à entrer plus pleinement, avec zèle, ardeur et engagement, dans cette nouvelle année pastorale déjà en cours qui sera elle aussi marquée par des événements de grâce.

1- « Miséricordieux comme le Père, soyons artisans de paix et de réconciliation »

C’est sous ce thème que nous avons vécu l’année pastorale écoulée. En proclamant un Jubilé de la Miséricorde divine, le Pape François voulait essentiellement amener toute l’Église à redécouvrir, dans le Visage miséricordieux du Père, le cœur de son existence et de sa mission, la racine et la source du dynamisme de toute vie chrétienne (cf. Misericordiae Vultus, n°3).

Cette initiative providentielle du Saint-Père a apporté de nombreuses grâces à notre Église Famille de Dieu. Une de ces multiples grâces est sans doute le baptême des nombreux enfants de parents en situations matrimoniales irrégulières, celui des personnes vivant avec un handicap majeur et enfin celui des personnes empêchées de poursuivre le catéchisme commencé en raison de certaines contraintes, notamment professionnelles.

En rendant grâce au Seigneur pour tant de bienfaits, je voudrais aussi vous exprimer ma joie car, en vous, la grâce de Dieu n’a pas été vaine. De fait, beaucoup ont vraiment saisi l’occasion de ce Jubilé de la Miséricorde, ainsi que les différentes célébrations qui l’ont ponctué et en particulier les mesures exceptionnelles prises en ce qui concerne les baptêmes, pour raffermir ou refaire leur relation avec Dieu et l’Église. En témoignent par exemple les nombreux mariages qui ont été célébrés dans les paroisses suite aux baptêmes des enfants ou indépendamment, mais toujours en lien avec les appels du Jubilé de la Miséricorde. Ce temps de grâce nous a rappelé en effet que si Dieu est miséricordieux, Il nous attend dans sa maison, comme le Père de l’enfant prodigue, pour nous redonner la dignité de fils, dans une vie chrétienne conforme à sa volonté. L’épisode de la pécheresse pardonnée nous montre à juste propos que dans sa rencontre avec les pécheurs et la misère humaine, Dieu veut offrir à l’homme un amour miséricordieux qui ne le laisse cependant pas dans son état initial ; il veut le transformer : « Va, désormais ne pèche plus » (Jn 8,11).

Loin d’avoir enfoncé dans l’indifférence, je me réjouis de voir que ces mesures ont eu pour effet de révéler le visage miséricordieux de Dieu, mais aussi de réveiller les consciences et de réinscrire dans le cœur de plusieurs, la nostalgie et la soif de la maison du Père. Dans ce sens, si l’année écoulée a été particulièrement celle des baptêmes, je vous exhorte à faire de l’année en cours celle des mariages et en particulier des régularisations. De fait, les nombreux baptêmes d’enfants ont révélé qu’au sein de nos communautés plusieurs parents vivent dans le concubinage depuis plusieurs années. La grâce faite aux enfants doit constituer une interpellation adressée aux parents et donc une invitation à tout mettre en œuvre pour la régularisation de leur situation matrimoniale. Convient-il que ceux qui ont reçu la grâce du baptême, surtout à leur tendre enfance, privent leurs propres enfants de la même grâce ?

En plus des nombreux fruits spirituels, le Jubilé de la Miséricorde a laissé aussi d’autres signes concrets qui resteront dans la mémoire et l’histoire de notre Église Famille de Dieu. Je veux ici parler du Sanctuaire de la Miséricorde divine béni le dimanche 3 avril 2016 et la Maison Misericordia inaugurée le samedi 21 janvier 2016, tous deux fruits de la foi, de la générosité et de l’engagement de nos fidèles à qui j’exprime encore ma gratitude.

Alors que le Sanctuaire sera un appel constant à contempler et à célébrer la Miséricorde de Dieu, j’ai voulu que la Maison Misericordia soit aussi pour nous un rappel permanent et pressant que nous devons vivre cette Miséricorde de manière concrète, surtout avec les personnes vulnérables des périphéries existentielles et sociales, touchées et blessées par les multiples formes de misères humaines que sécrètent nos cités modernes.

En rendant grâce au Seigneur pour ce merveilleux don du Jubilé de la Miséricorde qui a raffermi votre foi et stimulé votre générosité, je voudrais vous inviter à aller de l’avant, en eau profonde.

2- Duc in altum : « Ne laissez pas sans effet la grâce reçue de Dieu » (2 Co 6,1)

Ce temps de Carême qui commence est tout justement un temps où nous sommes appelés à nous remettre en route pour ne pas laisser sans effets les grâces reçues surtout durant ce Jubilé de la Miséricorde. Tel est précisément le vœu du Saint-Père qui nous invite, au lendemain de ce Jubilé, à ne pas garder « jalousement seulement pour nous tout ce que nous avons reçu » (Misericordia et Misera, n°21) mais à travailler plutôt à l’avènement d’une « révolution culturelle » fondée sur « une culture de la miséricorde (…) dans laquelle personne ne regarde l’autre avec indifférence ni ne détourne le regard quand il voit la souffrance des frères » (Misericordia et Misera, n°20).

C’est cela le cœur du message du temps de Carême. Il est un appel à redoubler d’effort pour ne pas laisser sans effet toutes les grâces reçues depuis notre baptême. Il est un temps de conversion or, se convertir c’est se mettre en route. C’est entreprendre un nouvel exode.

Le Pape François, dans son message pour la 52ème Journée mondiale de prière pour les vocations, établit bien cette intime connexion entre conversion et exode. Il souligne en effet que l’exode, « paradigme de la vie chrétienne », « consiste en une attitude toujours renouvelée de conversion et de transformation (…). Au fond, poursuit le Saint-Père, depuis l’appel d’Abraham à celui de Moïse, depuis le chemin pérégrinant d’Israël dans le désert à la conversion prêchée par les prophètes, jusqu’au voyage missionnaire de Jésus qui culmine dans sa mort et sa résurrection, la vocation est toujours cette action de Dieu qui nous fait sortir de notre situation initiale, nous libère de toute forme d’esclavage, nous arrache à nos habitudes et à l’indifférence et nous projette vers la joie de la communion avec Dieu et avec les frères » (14 avril 2015).

Cet exode ne consiste plus en ce voyage de l’Égypte à la Terre Promise, mais dans ce passage de l’esclavage de l’homme ancien à la vie nouvelle dans le Christ (cf. Col 3,9-10). Œuvre de l’Esprit Saint, il traduit ce dynamisme qui nous fait porter des fruits parce qu’il nous fait devenir fils de Dieu dans le Christ.

Le Carême est donc cet appel à se remettre en route, un appel à se mettre à la tâche pour produire des fruits, des fruits qui demeurent.

3- Tous appelés à porter du fruit qui demeure (cf. Jean 15,16)

Dans sa lettre de clôture du Jubilé de la Miséricorde, le Saint-Père écrit : « Le Jubilé s’achève et la Porte Sainte se ferme. Mais la porte de la miséricorde de notre cœur demeure toujours grande ouverte. Nous avons appris que Dieu se penche sur nous (cf. Os 11,4) pour que nous puissions, nous aussi, l’imiter et nous pencher sur nos frères (…). La Porte Sainte que nous avons franchie en cette Année jubilaire nous a placés sur le chemin de la charité que nous sommes appelés à parcourir chaque jour avec fidélité et dans la joie. C’est la route de la miséricorde qui permet de rencontrer de nombreux frères et sœurs qui tendent la main pour que quelqu’un puisse la saisir afin de cheminer ensemble » (Misericordia et Misera, n°16).

Après avoir contemplé le Visage miséricordieux de Dieu notre Père en la figure et dans le ministère de Jésus, c’est à notre tour de devenir Miséricordieux vis-à-vis de nos frères et sœurs. « C’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jean 15,16). C’est cela notre vocation et c’est à cela que nous sommes appelés de manière pressante durant ce temps de Carême : produire beaucoup de fruits de miséricorde pour la gloire de Dieu.

Les premiers fruits que nous sommes appelés à produire sont ceux de la conversion des cœurs, les fruits d’une vie plus conforme à la volonté de Dieu. Et pour y parvenir, je vous exhorte, à la suite du Saint-Père François, à intensifier votre vie spirituelle, votre relation avec le Dieu Miséricordieux, en accordant une place de choix à l’Eucharistie, lieu de célébration et de don de la miséricorde (Misericordia et Misera, n°5), aux Sacrements où elle « nous est offerte en abondance » (MM, n°5), à la Parole de Dieu qui révèle « l’incessante œuvre de miséricorde » (MM, n°6), à la lecture de la Bible « le grand récit qui raconte les merveilles de la miséricorde de Dieu » (MM, n°7) et au Sacrement de la Réconciliation où « le Père (…) vient à notre rencontre pour nous redonner la grâce d’être de nouveau ses enfants (…), nous faire comprendre son immense amour face à notre être pécheur (…), montre le chemin pour revenir à lui et invite à faire de nouveau l’expérience de sa proximité » (MM, n°8).

C’est dans cet effort de conversion des cœurs que nous contribuerons à la préservation d’une culture de la paix et de la concorde sociale dans notre Pays pour lequel je vous invite à prier de manière plus intense en ce temps de Carême.

Ensuite, je vous invite aussi à une générosité agissante vis-à-vis des pauvres et des petits qui peuplent nos CCB et nos paroisses : les personnes âgées ou abandonnées, les malades… Prenons tous l’engagement de faire de ce temps de Carême l’occasion d’incarner la proximité aimante du Christ vis-à-vis de ces personnes qui attendent un sourire, une visite, un geste qui vient donner du goût à leur vie. à ce propos, je reprends à mon compte l’exhortation du Saint-Père qui invite toute l’Église et chaque fidèle à s’engager sur le chemin d’une miséricorde inventive qui affronte avec responsabilité et imagination les « nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation » (cf. MM, n°18-19) et tant d’autres maux sociaux que la sensibilité de nos cœurs saura identifier.

Enfin, et encore une fois de plus, je vous invite à soutenir notre Église Famille de Dieu dans la réalisation de ses grands chantiers ouverts il y a déjà quelques années grâce à votre générosité. À ce sujet je voudrais vous exprimer toute ma gratitude pour tous les efforts déjà consentis qui ont permis le lancement de ces différents chantiers. L’année passée, les différentes collectes du 2ème Dimanche de Carême et de la clôture de l’année jubilaire le 20 novembre ont respectivement donné 47.838.365 et 11.238.215 de francs CFA.

Toutes ces généreuses contributions ont permis de faire avancer la construction de la Maison St Jean-Marie Vianney pour la retraite des prêtres ainsi que celle du Centre de Pastorale Familiale Sainte Famille de Nazareth et d’apporter un soutien à nos médias (Radio Ave Maria et TV Maria). À l’occasion du 2ème dimanche de Carême 2017, je compte encore sur la générosité de tous pour soutenir la construction des presbytères des trois nouvelles paroisses (Dapelogo, Tampouy et Sâôdogo/Bôassa).

Par ailleurs, je voudrais saisir l’occasion pour rappeler quelques dispositions de l’Église par rapport au denier du culte et à la dîme. Nous savons que tous deux sont des contributions demandées à tout baptisé pour la vie et la mission de l’Église. Alors que le denier du culte est un devoir de communion et de solidarité exigé chaque année de tout baptisé ayant fait la première communion, et donc obligatoire, la dîme, quant à elle (cf. Dt 14,22 ; Lv 27,30 ; Ne 10,36…), est demandée à ceux qui le veulent et le peuvent. Je voudrais simplement préciser que ces deux contributions demandées par l’Église sont payées auprès des paroisses ou auprès des personnes officiellement mandatées par les curés et non à des groupes ou mouvements de spiritualités.

Ceci dit, je vous remercie encore de votre généreuse disponibilité. C’est ensemble, main dans la main, pas à pas et à travers ces efforts conjugués que nous pourrons relever le défi de l’auto-prise en charge et rassembler les moyens d’une pastorale capable de travailler les cœurs et la société pour l’avènement du Royaume de Dieu.

4- Ensemble, pour une pastorale nouvelle

Si manifester le Règne de Dieu qui est Règne de justice, d’amour et de paix, est l’espérance de toujours de l’Église (cf. Plan Pastoral, Vision de toujours), relever les défis de la solidarité pastorale organique et de l’unité, de la sainteté et de la mission, de la justice et de la paix, de l’auto-prise en charge et du développement solidaire est aussi l’ambition et le rêve de la Famille diocésaine les cinq prochaines années (cf. Plan Pastoral, Vision à l’horizon 2020).

Cette espérance et cette ambition indiquent un horizon et tracent en même temps un chemin que nous devons parcourir ensemble. La pastorale est l’art d’organiser ce parcours et cette marche et mieux, cet exode du Peuple de Dieu en route vers la terre promise, vers sa pleine réalisation dans le Christ. C’est dans cet esprit que l’Archidiocèse s’est doté d’un Plan Pastoral quinquennal construit et articulé selon les principes et les critères de la planification stratégique. Ce Plan Pastoral est un instrument que je vous exhorte tous à accueillir. Il identifie les grands défis que l’Archidiocèse doit relever dans les cinq prochaines années, définit ses grandes orientations et précise les objectifs à atteindre et les activités à mener par tous et chacun pour que notre Famille diocésaine grandisse et réalise sa mission : celle de se laisser transformer par la rencontre personnelle avec le Christ, de s’engager dans une nouvelle évangélisation et de vivre en communautés priantes, responsables, ayant accueilli pleinement l’Évangile dans nos valeurs africaines et témoignant de notre foi par les œuvres dans un contexte multiculturel et multiconfessionnel (cf. Plan Pastoral).

C’est un chemin sur lequel nous ont devancés des anciens dont la mémoire et la vie nous interpellent particulièrement en cette année 2017.

Conclusion : « Fils et filles de l’Église Famille de Dieu à Ouagadougou, souvenez-vous de vos pères et imitez leur foi »

C’est avec ces mots du thème d’année que je voudrais terminer ce message. Comme vous le savez déjà, cette année nous célébrons le Jubilé des 75 ans du sacerdoce burkinabè autour des figures des trois premiers prêtres burkinabè (les Abbés Zacharie Nikiéma, Joseph Daniel Ouédraogo et Paul Zoungrana) et deux centenaires de naissance : celui du Cardinal Paul Zoungrana et celui de Mgr Dieudonné Yougbaré.

La célébration de ces jubilés sera pour l’ensemble de l’Église au Burkina et la Famille diocésaine l’occasion de rendre grâce à Dieu pour le don merveilleux de la foi et du sacerdoce et l’occasion de contempler la manifestation et le déploiement de la grâce de Dieu dans la vie et le ministère de ces pionniers de la foi.

En vous exhortant tous à la mobilisation autour des célébrations et manifestations qui seront proposées à cet effet, je vous invite surtout à vous laisser inspirer par leur exemple de foi.

Et pour terminer, je fais volontiers miens ces propos du Pape Benoît XVI : « Face à un monde qui exige des chrétiens un témoignage renouvelé d’amour et de fidélité au Seigneur, tous sentent l’urgence de tout faire pour rivaliser dans la charité, dans le service et dans les œuvres bonnes (cf. He 6,10). Ce rappel est particulièrement fort durant le saint temps de préparation à Pâques. Vous souhaitant un saint et fécond Carême, je vous confie à l’intercession de la Bienheureuse Vierge Marie et, de grand cœur, j’accorde à tous la Bénédiction apostolique » (Message de Benoît XVI pour le carême 2012).

Ouagadougou, le 22 février en la fête de la Chaire de Saint Pierre

+ Philippe Cardinal Ouédraogo

Archevêque Métropolitain

de Ouagadougou