Atlantico : Le soir de Noël, alors que les Européens vivent la commémoration de la naissance du Christ comme une fête joyeuse, des chrétiens sont victimes de persécutions dans le reste du monde. Quel est le bilan de ces exactions cette année ?
Alexandre Del Valle : Il est très difficile de répondre de manière précise à cette question étant donné que les chiffres diffèrent selon les sources, suivant qu’il s’agit de l’épiscopat ou du Conseil de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), par exemple. Sur 2,3 milliards de chrétiens dans le monde aujourd’hui, il y a au minimum plus d’une dizaine de milliers d’entre eux qui ont été tués parce qu’ils ont manifesté leur foi. Plus largement, on estime environ à 100 000 le nombre de chrétiens tués, parce qu’ils appartenaient à un groupe assimilé chrétien, c’est-à-dire parce qu’ils sont nés chrétiens, indépendamment même de leur foi et de tout prosélytisme. C’est le chiffre le plus bas. Le Conseil de l’OSCE évoque le chiffre de 105 000 chrétiens et l’épiscopat va jusqu’à 170 000.
Où ces massacres de chrétiens se déroulent-ils
majoritairement ?
Ces massacres de chrétiens ont majoritairement eu lieu en Corée du Nord, en Arabie Saoudite,en Égypte, au Nigeria, en Centrafrique, au Soudan, en Irak et en Syrie. Si en Irak le phénomène n’est pas nouveau et qu’en Égypte les chiffres restent constants, en 2013, on a observé une montée des persécutions envers les chrétiens syriens alors que jadis ils étaient protégés par le régime. En outre, la Centrafrique a connu une montée flagrante des massacres chrétiens cette année.
Le phénomène est-il en progression depuis les révolutions arabes ?
Depuis qu’Al Qaeda a récupéré un certain nombre de rébellions là où les révolutions arabes n’ont pas pu se mener de manière démocratique, à l’instar de la Syrie et du Yémen, on a vu une accélération des persécutions. De même, elles se sont amplifiées en Irak, en Libye et même au Maghreb. Dans les pays arabes, les islamistes ont élaboré un plan d’éradication des chrétiens depuis les années 1990-2000. Ce plan d’éradication s’est consolidé avec les révolutions arabes.
L’intervention française en Centrafrique et au Mali sont-elles une réponse à ce « plan d’éradication » ?
En ce qui concerne les pays africains, on assiste depuis une dizaine d’années au « syndrome soudanais » en Côte d’Ivoire, en Érythrée, dans les pays sahéliens : ces pays sont divisés entre des musulmans et des chrétiens selon une fracture Nord/Sud. Depuis une dizaine d’années, et surtout depuis quatre/cinq ans, les mouvements comme AQMI, Ansar al-Islam, Boko Haram ou celui des Shebabs participent de cette division de la Somalie jusqu’aux portes du Maroc et de la Mauritanie. Au Sahel, il y a toute une bande où le Nord musulman, souvent un peu plus proche des Arabes ou qui est arabe, veut progresser vers le Sud noir-chrétien, ancienne réserve d’esclaves en général; c’est le cas au Mali, en Côte d’Ivoire, au Soudan.
L’offensive centrafricaine en est le résultat : des bandes armées islamiques progressent vers le Sud qui est pour eux un véritable champ de conquête et de razzia. Là aussi il y a un plan qui vise à exterminer les minorités chrétiennes. Et pourtant, la Centrafrique est un pays majoritairement chrétien, mais aujourd’hui les islamistes ont mis en place une christianophobie criminelle. Dans le nord du Nigéria, ceci est très flagrant.
Le but de ces mouvements islamistes, aussi bien dans le monde arabe qu’en Afrique, est de faire reculer les frontières de la chrétienté et de faire avancer celles de l’islam. Ils ont une véritable stratégie. Aujourd’hui les chrétiens sont des bouc-émissaires symbolisant la haine de l’Occident : c’est la nouvelle christianophobie.
Extrait de « ATLANTICO », un vent nouveau sur l’Info.