Pour une promotion authentique du droit à la vie selon le dessein de Dieu     LETTRE PASTORALE DES EVEQUES DE LA CONFERENCE EPISCOPALE BURKINA NIGER

 

 

 

Fils et filles de l’Eglise Famille de Dieu au Burkina-Faso et au Niger,

Et vous tous,  frères et sœurs en humanité,

Que la paix et la grâce du Christ Ressuscité soient toujours avec vous !

 

  1. La valeur de la vie humaine est, depuis toujours, reconnue dans toutes les sociétés humaines. C’est pourquoi toute culture humaine s’emploie, à sa manière, à sauvegarder, protéger, promouvoir et perpétuer toute vie humaine, qu’elle soit individuelle ou collective. Plus que par le passé, le rapport de l’humain à sa propre vie est devenu aujourd’hui très complexe, et constitue, à n’en pas douter, une préoccupation majeure de la société contemporaine. Aussi constate-t-on çà et là des initiatives, multiples et diverses, qui se donnent pour tâche de défendre et promouvoir la vie humaine. Si cet engagement quasi universel pour la vie est déterminant et nécessaire, il faut cependant reconnaître que depuis quelques décennies, des divergences remarquables, voire des oppositions réelles se manifestent dans la pratique, ce qui conduit à s’interroger sur les exigences et les conditions d’une promotion authentique de la vie humaine dans sa dignité propre. Le contexte singulièrement préoccupant dans lequel vit notre Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso et au Niger nous oblige, nous vos pasteurs, à vous inviter au discernement et à la vigilance pour rester fidèles aux exigences de notre foi au Dieu de vie révélé dans le Christ notre vie. Il s’agit, principalement, d’une part, de nous rappeler la valeur communément partagée de la vie humaine et relever le changement d’orientation globale actuelle en matière de sa promotion ; d’autre part, de considérer la promotion du droit à la vie et à la liberté telle qu’elle s’opère dans nos deux pays à la lumière de la révélation du dessein de Dieu et des valeurs chrétiennes. Nous vous proposerons, enfin, des perspectives pastorales pour un service de la vie selon les exigences de notre foi au Christ Ressuscité.

 

Sur la valeur communément partagée de la vie humaine

 

  1. On sait que toutes les Nations, d’un commun accord, ont consacré l’universalité du droit à la vie et veulent permettre de mener une vie qui a un sens. Le cadre primaire et référentiel au niveau international de cette défense et promotion de la vie humaine est bien connu : la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948.

Inscrits de fait dans l’histoire, les droits humains, considérés comme essentiels à l’expression de la dignité humaine, représentent un système de protection destiné à préserver l’homme de la violence arbitraire et à éviter que ses besoins fondamentaux ne soient négligés. Ces droits sont dits fondamentaux, parce qu’ils sont inhérents à l’essence de la personne humaine ; et universels, parce qu’ils ont vocation à protéger l’être humain sans discrimination et sans considération de l’espace et du temps.

Dans un monde où tout semble s’acheter, l’homme est le seul qui n’a pas de prix : il a une dignité. Si tout doit être mesuré à l’aune d’une référence ultime, alors, la seule valeur qui ne saurait donner lieu à un marchandage, c’est la dignité de la personne humaine. Elle seule est sujet, source d’initiative, pôle de liberté et non simplement objet de manipulation extérieure. L’on comprend dès lors que nombre de constitutions proclament « sacrés » et « inviolables » aussi bien la personne humaine que le droit à la vie et à la liberté. Ces droits reposent sur un fondement extra juridique constitué par le postulat de la dignité de la personne humaine. Ce postulat de dignité humaine bénéficie du suffrage unanime de tous les courants de pensée, les philosophies, les morales, autant que les religions. En Afrique, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, adoptée en 1981 par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, s’inscrit dans ce cadre de respect et de promotion de vie humaine lorsqu’elle déclare en son article n°4 : « la personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».

 

  1. Mais ces dernières années, le débat a gagné en diversité et en complexité, notamment en ce qui concerne les politiques en matière de population et les planifications démographiques pour le développement. L’idée que chacun a « droit » à la vie est devenue beaucoup plus problématique. La difficulté est souvent masquée du fait que l’expression de cette idée s’accompagne généralement d’une rhétorique flamboyante. Il importe, cependant, de noter que la notion de droits humains est différente selon les cultures et les époques. Cette diversité oblige à approcher ce domaine avec beaucoup de prudence, en évitant de projeter trop rapidement les conceptions culturelles dans des situations qui ne permettent pas ce transfert. Examiner comment la vie et la dignité de la personne humaine sont poursuivies et promues aujourd’hui dans les politiques démographiques et les planifications en matière de développement révèle plutôt un changement d’orientation globale.

 

Le changement d’orientation globale actuelle

 

  1. Dans la poursuite des objectifs du bien-être humain, depuis quelques années, les questions de populations sont devenues des enjeux politiques, idéologiques, et économiques, tant et si bien que plusieurs conférences importantes ont essayé d’en réguler les débats et de dégager une vision. A ce titre, deux grandes conférences internationales ont indubitablement marqué un tournant décisif: la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, tenue au Caire (Egypte) en 1994, et la Quatrième Conférence Mondiale sur les Femmes, tenue à Beijing (Pékin, Chine) en 1995. Ces deux conférences, les plus importantes en matière de santé sexuelle et reproductive, ont permis de rechercher des moyens, d’élaborer des principes directeurs, des stratégies et des objectifs de Programme d’actions, portant sur la réduction de la croissance démographique, un domaine traditionnellement considéré comme relevant de la vie privée des individus. Dès lors, les principes traditionnels qui permettaient le contrôle social de la population cédèrent le pas à de nouvelles données politiques. Les pays africains, qui étaient pro-natalistes depuis les indépendances de 1960, ont été convaincus que la cause principale de leur misère venait de leur croissance démographique. Dorénavant, les politiques de population auront pour objectif de réduire, par tous les moyens, la fécondité dans les pays, car désormais, croissance démographique rythme avec pauvreté. C’est dans cette dynamique que, lors de son deuxième sommet ordinaire tenu en 2003 à Maputo (Mozambique), l’Union africaine a adopté ce qui fut dénommé « Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique ». Bien que plusieurs pays aient exprimé des réserves sur l’article 14 de ce Protocole, lequel article est relatif au « droit à la santé et au contrôle des fonctions de la reproduction », le Burkina Faso et le Niger l’ont ratifié. C’est le tout premier traité à reconnaître l’avortement, dans certaines conditions, comme un droit humain des femmes, dont elles devraient jouir, sans restriction ni crainte de poursuites judiciaires. Le pape Benoît XVI l’a décrit comme une tentative « de banaliser subrepticement (secrètement) l’avortement »[1] et de nombreuses conférences épiscopales à travers le continent ont formellement marqué leur opposition à sa ratification, en ce qu’il définit l’avortement comme un droit humain.

 

  1. On sait, toutefois, que l’histoire de la relation entre la croissance démographique et la pauvreté est bien complexe. Déjà au 18ème siècle, Robert Thomas Malthus affirmait que le pouvoir de reproduction de l’espèce humaine est considérable, alors que sa capacité de production des moyens de subsistance est beaucoup limitée. Il en conclut que la croissance démographique est source de misère. Mais la croissance démographique est-elle réellement cause du sous-développement dans les pays pauvres ? Sur un plan éthique, le débat entre démographes reste vif. La question qui reste posée est de savoir : est-ce le développement d’un pays qui fait baisser la fécondité ou la baisse de la fécondité qui entraine le développement ? Selon certains démographes, « jusqu’à ce jour, aucune réponse rigoureuse, sur le plan scientifique, n’a été établie sur cette question. Lorsque ce débat est abordé sous l’angle de l’adéquation entre les ressources et la population, les arguments ne manquent pas pour montrer que les pays pauvres ne sont pas les principaux prédateurs de leurs ressources»[2]. Bien plus, dans certains contextes, la croissance démographique a impulsé des processus de développement. Le débat sur ces questions de population et développement relève donc, le plus souvent, de conviction idéologique que de réalité scientifique.

 

  1. Ce qui caractérise notre époque, c’est la mondialisation du débat, et la volonté d’imposer aux pays pauvres, par l’entremise des politiques de population, une voie à suivre dans le domaine de la population, car convaincu que tous les problèmes des pays pauvres proviennent de leur surnombre. C’est ainsi que des pays comme le Burkina Faso et le Niger considéraient, déjà dans les années 1989, que la fécondité et leur croissance démographique étaient trop élevées et qu’il fallait intervenir : d’où l’éducation en matière de population. Pour l’instant, les avantages de la baisse de la fécondité et du ralentissement de la croissance démographique ne se font pas sentir. Ce sont plutôt les inconvénients qui sont les plus manifestes. La réduction de la croissance démographique va-t-elle effectivement déclencher le développement économique de nos pays ? Des études montrent qu’on assiste plutôt à ce qu’on appelle le malthusianisme de pauvreté, c’est-à-dire une baisse de la fécondité dans un contexte de pauvreté, les populations restant toujours pauvres malgré la baisse de leur nombre. En cela, les rapports entre fécondité et pauvreté, tels que codifiés par les différentes conférences sur la population, devraient être repensés dans nos pays.

 

De la promotion du droit à la vie et à la liberté dans nos pays

 

  1. Engagés à promouvoir le droit à la vie et à la liberté, le Burkina Faso et le Niger, à la suite des autres pays africains, ont adopté et appliquent, même de façon brutale et ouverte, les moyens et les stratégies élaborés lors des conférences mondiales et portés aujourd’hui par des institutions internationales, des Organisations Non Gouvernementales (ONG), des agences des Nations Unies et des gouvernants. A cet égard, on ne peut qu’admirer la détermination et l’engagement réels des uns et des autres, avec des moyens considérables et une stratégie affinée. Dans un discours fort médiatisé, ces agences des Nations Unies et ces ONG, en partenariat avec les gouvernants et des organisations de la société civile, se mobilisent pour que les droits en matière de sexualité et de reproduction soient considérés en tant que droits humains fondamentaux. Leur mission serait de contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des femmes et des hommes en agissant pour la santé et les droits sexuels au niveau politique et sur le terrain auprès des populations. Il s’agit, selon eux, de donner aux personnes, notamment démunies et vulnérables, la possibilité et les moyens de faire des choix libres et éclairés quant à leur vie sexuelle, affective et reproductive et d’avoir accès à des services adaptés et de qualité. Ils disent qu’ils travaillent à obtenir un monde où chaque grossesse est désirée, chaque accouchement sans danger, le potentiel de chaque jeune fille rempli. Le slogan est bien connu : « enfant par choix, et non par surprise ! ». Et l’on se prévaut d’offrir une gamme complète de services dans toutes les méthodes de planification familiale. Tous ces objectifs ainsi formulés sont séduisants et tout homme de raison est d’emblée enclin à y porter caution, car il s’agit bien du service de l’homme et de la société. Toutefois, dans les faits, au Burkina Faso comme au Niger, ces politiques dites de promotion du droit à la vie nous apparaissent bien tout autres. Si, en effet, le principe de cet engagement pour la promotion et la défense du droit à la vie et à la liberté est bien louable, force est cependant de relever que la dignité humaine, fondement de ce droit primaire, n’y est pas toujours respectée. A travers le discours sur un développement humain harmonisé, les campagnes de planification démographique se résument, en réalité, à la baisse de la fécondité et à la vulgarisation de l’utilisation des contraceptifs.

 

  1. Malgré leurs services appréciables à la communauté humaine, à bien considérer, nous observons que ces institutions internationales publiques et privées, ainsi que ces ONG, encouragent et programment des pratiques contraires à la vie humaine. A ce titre, on pourrait citer entre autres : l’Association Burkinabè pour le Bien-Etre Familial (ABBEF) qui fournit des contraceptifs et des préservatifs à bas prix, leur production étant subventionnée ; les ONG Marie Stopes International et Pathfinder International qui sont présentes au Burkina et au Niger, offrent toutes les méthodes modernes de contraception et disent défendre les droits sexuels et reproductifs des communautés ; sans oublier les lobbies pro-avortement, ou plus largement encore les lobbies pro-choix, qui se prévalent de la protection de la femme, de la lutte contre la pauvreté, et de la sauvegarde de l’environnement. Toutes ces organisations et associations ne cachent pas leur appui ni à la contraception hormonale, ni à la stérilisation. Si elles sont discrètes à propos de l’avortement, elles n’hésitent cependant pas à préconiser le dispositif intra-utérin, ainsi que des drogues plus récentes dont l’effet est soit contraceptif, soit de barrière, ou encore anti-nidatoire. Elles débordent ainsi leur mandat, avec à la base des justifications économiques, pour donner leur aval à des programmes hostiles à la vie, et propager par les canaux éducatifs, des motivations qui justifient le contrôle des naissances. Pour elles, « la divulgation de la contraception, la limitation de la natalité par les moyens les plus efficaces serait pour les pays pauvres, une condition préalable indispensable à leur développement »[3]. Dans nos pays, même des services nationaux manifestent leur intérêt aux différents programmes de contrôle de la vie, par les contributions financières versées aux organisations spécialisées en la matière.

 

  1. A vrai dire, il importe d’observer avec grande humilité et conscience vive, que notre époque est plus que jamais marquée par des menaces multiples et multiformes contre la vie. L’avortement provoqué, qui « est l’atteinte majeure contre la vie humaine, essentiellement parce que la victime est totalement innocente et totalement sans défense »[4], est légalisé dans certains pays qui le présentent même comme un nouveau droit. C’est ainsi qu’à titre préventif, les femmes des organisations féminines de confessions religieuses au Burkina Faso ont fait une déclaration le 3 septembre 2018 mettant fortement en garde le gouvernement burkinabè contre toute initiative de révision du Code pénal[5]en vue d’une légalisation de l’avortement. De plus, des méthodes chirurgicales, des techniques abortives mécaniques et des expériences médicales abusives mettant en danger la vie humaine sont orchestrées et programmées afin de répandre davantage et rendre ordinaire cette pratique. Des techniques chimiques sont déjà à la conquête du marché et seraient destinées à aider les pays pauvres à contrôler leur population, préalable à tout développement. Des vaccins anti-grossesse seraient aussi en phase d’expérimentation à large échelle sur d’autres continents[6]. La stérilisation par laquelle la vie est tarie à la source se vulgarise et se banalise. La contraception, dont la pratique la plus répandue est l’usage du préservatif, sépare la fin unitive de la fin reproductive de l’union conjugale, et mérite d’être mentionnée comme attitude de fermeture à la vie. Pourtant, de nombreuses organisations internationales se réjouissent de son extension et de son utilisation sans cesse croissantes ; ce qui ouvre la voie à une mentalité abortive. L’homosexualité et la toxicomanie ont des incidences néfastes sur la vie, dans la mesure où l’un conduit à des styles de vie refusant la vie et l’autre à des comportements d’asociabilité conduisant à l’autodestruction. L’infidélité conjugale, l’adultère, « le système de maîtres et maîtresses ou deuxième bureau » connaissent une vulgarisation alarmante ; le viol, l’inceste, la pédophilie et même la zoophilie ne sont plus choses rares. A tous ces maux s’ajoutent toutes les graves dérives consécutives à l’insécurité jamais égalées dans la sous-région et que notre déclaration du 13 juin 2019 a déjà condamnées. Ce sont là, entre autres, des lieux où la promotion saine et authentique de la vie humaine est compromise. Nos pays peuvent et doivent admettre, toute raison gardée, la promotion d’une certaine forme de régulation de la population ou de planification familiale en ce qu’elles signifient espacement des naissances et donc une meilleure santé pour les mères et les enfants, une gestion responsable de la vie. Pour nous chrétiens, nous ne saurions poursuivre ces objectifs par n’importe quel moyen, surtout lorsque celui-ci compromet la dignité humaine selon le dessein du Dieu Créateur et des valeurs chrétiennes.

De la promotion du droit à la vie selon le dessein de Dieu et les valeurs chrétiennes

 

  1. Dans la tradition biblique et chrétienne, la réflexion sur l’être humain, sa dignité, son droit à la vie et à la liberté, est profondément marquée par l’affirmation que l’être humain est créé à l’image de Dieu (cf. Gn 1, 26– 27.). Pour la culture judéo-chrétienne, en effet, comme pour de nombreuses cultures africaines, la vie humaine est sacrée parce qu’elle est d’origine divine (cf. Gn 2, 7.) et demeure une propriété exclusive de Dieu. De ce fait, toute vie humaine se reçoit, toujours en administration, et jamais en tant que propriétaire. Nul ne doit la détruire, la tuer ou se l’enlever. Venue de Dieu, la vie humaine doit tendre vers Lui comme cause exemplaire et finale. La doctrine chrétienne enseigne, en particulier, que Dieu le Père est source de la vie, qui réalise en l’homme la vie en l’associant à la mort et à la résurrection de son Fils, par l’Amour de l’Esprit Saint. Pour le chrétien, en effet, le Christ mort et ressuscité est l’unique explication de la vie et son unique source. En termes historiques concrets, l’unique possibilité de construction vitale est l’union avec le Christ, mort et ressuscité. La conséquence pour le chrétien en est qu’il ne peut utiliser sa vie ou la développer que selon le dessein de Dieu révélé en son Fils Jésus-Christ dont l’Eglise est le messager dans le monde. En ce sens précis, les sciences et les techniques biomédicales ou expérimentales actuelles doivent être au service de la vie humaine et non le contraire ; elles existent pour construire l’homme et jamais pour le détruire.

 

  1. S’appuyant sur ces vérités fondamentales de foi, l’Eglise détermine la dignité de l’homme comme celle d’un être destiné à une relation avec Dieu. Pour la tradition du droit naturel, comme aussi pour l’enseignement social de l’Eglise, cette dignité n’est pas uniquement conférée par d’autres êtres humains, elle appartient à tout être humain, indépendamment des attributs personnels ou sociétaux. Ainsi est affirmée, en Eglise, une exigence de respect de la vie humaine qui s’impose nécessairement face à un être humain ou, plus particulièrement, face au visage humain. C’est pourquoi l’Eglise s’est toujours opposée, de manière ferme et constante, à la perspective idéologique de la maîtrise de la vie, surtout en ce qui concerne les droits sexuels et reproductifs.

 

  1. L’intelligence chrétienne sait, de par la raison et la foi, questionner les discours pour les ouvrir à la lumière de la vérité. Elle repère dans les situations sociales, autant que dans l’existence des personnes, des requêtes de vie inassouvies et des signes de semences de vie fragilisée, en vue de les porter à leur plénitude de sens et d’accomplissement. Parmi les raisons qui fondent et justifient l’importance de la participation de l’Eglise à la promotion de la vie, retenons sa foi en un Dieu qui est vie, sa mission de restaurer dans le cœur de l’homme et dans les modèles référentiels et pratiques sociétales des peuples, l’image de la vie de Dieu. Faisant donc appel à la raison et à la loi naturelle, et informée des exigences évangéliques et de la foi chrétienne, l’Eglise catholique propose des principes éthiques dont la validité est éprouvée par la confrontation à des jugements moraux bien pesés d’hommes raisonnables. Dans ces considérations, la responsabilité de l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso et au Niger devient un appel à accueillir la vie et à la promouvoir pour ouvrir des chemins d’espérance, de réflexion, d’organisation et d’actions pour libérer nos pays de dictatures de la pensée unique qui ne recherchent ni ne créent une authentique promotion de la vie et de la liberté, les vraies conditions de développement intégral[7]. Nous voudrions donc, en vertu de notre responsabilité pastorale, vous inviter instamment à l’action pour que les germes de vie, signes d’espérance au cœur même de nos préoccupations et angoisses quotidiennes, ne soient pas emportés par la mort.

 

Perspectives pastorales pour le service de la vie humaine

 

  1. Le service que l’Eglise rend à la société, selon Saint Jean Paul II, « est avant tout un service de formation des consciences : proclamer la loi morale et ses exigences, dénoncer les erreurs et les atteintes à la loi morale, à la dignité de l’homme sur laquelle il se fonde, éclairer, et convaincre»[8]. A ce titre, l’Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso et au Niger ne peut cesser de situer son rôle de jugement normatif moral vis-à-vis de nos sociétés. Les sciences et techniques biomédicales et les politiques démographiques pour le développement ont le mérite d’aider notre Eglise Famille de Dieu à faire de la promotion de la vie humaine le lieu de l’incarnation de la Parole de vie du Ressuscité. Elles ouvrent la voie à l’élaboration de pensées et d’actions concrètes pour mobiliser les baptisés, et les hommes de bonne volonté, à s’engager pour la promotion du devenir et de l’avenir de la vie humaine dans nos pays. Sur ce sujet de la pastorale du droit à la vie et à la liberté, les domaines les plus importants, qui retiennent davantage l’attention de vos pasteurs, sont particulièrement : la responsabilité des époux, les défis de sauvegarde de la famille, la libération de la femme et de la jeune fille et, de toute évidence, l’engagement de tous les fidèles de l’Eglise.

 

De la responsabilité des époux 

 

  1. Pour la promotion authentique du droit à la vie chez l’être humain, la toute première considération à mentionner est la responsabilité des époux. Coopérateurs de Dieu à l’œuvre dans la transmission de la vie humaine, les époux ont le devoir d’être au service de cette vie malgré les motifs de désespoir et les menaces qui l’avilissent. Ce service de la vie demande un dépassement et un désintérêt dans l’amour-don-de-soi. Dans sa Lettre aux familles[9], saint Jean Paul II notait que, par sa généalogie même, la personne humaine, créée à l’image de Dieu, et en participant à sa Vie, existe « pour elle-même » et se réalise. Pour ce faire, il faudra que la volonté des parents soit en harmonie avec celle de Dieu : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré » (Jr 1, 5.). C’est dire qu’à l’instant même de sa conception, l’homme est déjà ordonné à l’éternité en Dieu. Ce service de la vie passe, on ne peut en douter, par une bonne compréhension de l’amour conjugal dont les deux finalités inséparables sont l’union et la procréation[10]. Cela n’est possible que si les époux veulent demeurer fidèles au Dieu Créateur et responsables dans le service de transmission de la vie.

 

  1. Certaines conditions d’une authentique paternité-responsable sont requises si les époux veulent demeurer fidèles au dessein du Créateur dans ce service de la transmission de la vie : tout d’abord vivre la chasteté conjugale et acquérir le sens du bien de l’ascèse ; ensuite cultiver la constance et la patience, l’humilité et la force d’âme, la confiance filiale en Dieu et dans sa grâce, le recours fréquent à la prière et aux sacrements de l’Eucharistie et de la réconciliation. Outre ces conditions morales et spirituelles, il y a également celles physiologiques : la connaissance de la « corporéité » et de ses rythmes de fécondité qui suppose une éducation sexuelle. Ce faisant, ils connaîtront la vraie liberté des enfants de Dieu.

 

Sauver la famille africaine

 

  1. En cette année de Saint Joseph et de la famille, le contexte de menace de la vie humaine nous oblige à porter un regard particulier sur la famille africaine en général, et la famille chrétienne en particulier. Dans nos cultures, la famille est considérée comme la cellule de base de la société, le sanctuaire de la vie et de l’amour. Elle est également la première école d’éducation, de socialisation et d’intégration de l’enfant, et par extension de la personne humaine. Nous en avons la conviction : l’avenir de nos sociétés et de notre Eglise Famille de Dieu dépend de l’avenir de nos familles. De ce point de vue, nous réaffirmons avec le Pape François : « Si la famille est le sanctuaire de la vie, le lieu où la vie est engendrée et protégée, le fait qu’elle devient le lieu où la vie est niée et détruite constitue une contradiction déchirante. La valeur d’une vie humaine est si grande, et le droit à la vie de l’enfant innocent qui grandit dans le sein maternel est si inaliénable qu’on ne peut d’aucune manière envisager comme un droit sur son propre corps la possibilité de prendre des décisions concernant cette vie qui est une fin en elle-même et qui ne peut jamais être l’objet de domination de la part d’un autre être humain. »[11] C’est pourquoi il est important pour notre Eglise Famille, selon la recommandation de saint Jean-Paul II, de ne pas laisser « bafouer la famille africaine sur sa propre terre»[12] et de dévoiler les erreurs et les stratégies de l’idéologie de la santé sexuelle et reproductive, comme ses enjeux sociaux et éthiques, et aussi de situer la responsabilité de nos Etats quant à la déstructuration de la famille.

 

  1. En particulier, les agents pastoraux, les diverses associations chrétiennes pour la famille, les hommes et les femmes sentinelles de l’espérance, soucieux de la pérennité des valeurs familiales, tous devraient mesurer les enjeux et les conséquences des politiques démographiques actuelles sur la famille. Ils devraient militer pour un processus de développement qui respecte les valeurs de la vie, de la famille et de la dignité humaine. A ce sujet, que personne ne se trompe : le chemin du développement de nos pays n’est pas prioritairement conditionné par la limitation des naissances, mais bien par une lutte contre l’analphabétisme et les maladies endémiques, une bonne gestion d’investissements socio-économiques et industriels et une réponse conséquente aux problèmes de corruption, d’injustice, de mauvaise gestion des crises sociale et sécuritaire, etc.

 

Libérer la femme et la jeune fille

  1. La recherche de voies et de moyens pour relever les défis auxquels nos familles sont confrontées, du fait des programmes sur les droits sexuels et reproductifs, nécessite une réaffirmation des valeurs de la famille, certes, mais aussi de la dignité de la femme comme épouse, mère et première éducatrice ; et de la jeune fille comme future épouse et mère. Il s’agira de travailler à leur libération. Mais la libération de la femme et de la jeune fille ne peut oublier les valeurs qu’elles portent et qui font d’elles, chez nous, un signe sacré de la grandeur et de la beauté de la vie et de la famille. Au demeurant, on ne peut, au nom d’un prétendu développement humain ou d’une nécessité impérieuse de maîtriser la croissance démographique, cautionner des stratégies savamment élaborées pour déstabiliser la famille, corrompre la jeunesse, porter atteinte à la vie de l’enfant à naître et à la dignité de la femme en tant qu’épouse, mère et éducatrice. Dans tous les cas, le libéralisme sexuel, le mariage homosexuel, la banalisation de l’avortement, de la stérilisation et le manque de respect de la dignité humaine, notamment celle de la femme, sont contraires aux valeurs africaines et aux convictions religieuses des Africains. A cet égard, nous félicitons l’Association des organisations féminines de confessions religieuses pour leur déclaration du 3 septembre 2018 visant à contrer toute initiative tendant à une plus grande accessibilité à l’interruption volontaire de la grossesse. Nous savons que certaines d’entre elles ont renoncé à des postes de travail, au nom de leur objection de conscience, et en payent le prix dans leur situation sociale.

 

Appel à la responsabilité de l’ensemble des fidèles chrétiens

 

  1. A ce sujet, nous demandons instamment :

 

  • De continuer avec nous, sans relâche, à défendre conformément aux exigences de notre foi, le droit à la vie et à la liberté des enfants de Dieu.

 

  • D’exercer dans la mesure du possible, selon les dispositions légales, votre droit à l’objection de conscience et de refuser toute coopération « formelle » à tout ce qui compromet la vie humaine; s’il vous arrive de coopérer « matériellement » à cause de vos responsabilités dans ce domaine, il vous importe de faire connaître clairement les exigences de notre foi.

 

  • D’exercer avec une plus grande rigueur, au niveau des paroisses, la formation des jeunes et des fiancés lors des séances de préparation au mariage, selon les manuels élaborés à cet effet; les centres de préparation au mariage doivent mettre en place des équipes aguerries dans la présentation et le suivi des méthodes naturelles de régulation des naissances; et les autres responsables, prêtres, religieux (ses), catéchistes ou tout autre laïc engagé, devront exercer leurs responsabilités dans les formations conformément aux dispositions de l’Eglise.

 

 

Appel aux autorités

 

  1. Les autorités politiques, judiciaires et administratives s’engageront à œuvrer en toute vérité et justice pour le bien-être réel de nos populations laborieuses, et non de compromettre leur santé et l’avenir des générations futures.

 

Appel aux hommes de bonne volonté

 

  1. Tous, nous gagnerons à promouvoir une politique qui favorise l’espacement naturel des naissances plutôt que leur limitation par des moyens et des stratégies qui détériorent la santé des femmes et qui n’honorent pas la dignité humaine selon le dessein du Dieu Créateur.

 

  1. Promouvoir la vie, construire l’humain et édifier l’espoir, telle est notre responsabilité face à l’avenir, notre mission face aux générations futures, notre croix à porter tous les jours. En ce moment de l’histoire de nos sociétés, il est urgent de développer une mentalité de nouvelles énergies vitales créatrices, de nouvelles volontés d’action civique et politique, de nouvelles forces de régénération morale et spirituelle que nous, vos évêques, appelons « Christianisme de la Vie ». En intervenant dans le domaine du respect de la vie, nous nous fondons à la fois sur le caractère sacré de la vie, sur la nature de l’homme, sur les exigences de sa vocation et de l’évangile du salut. Pour notre part, en cette fête de Pentecôte, nous avons tous la certitude que les comportements et les attitudes humainement dignes resteront l’humus profond de nos rêves de vie en Jésus-Christ, le Ressuscité, toujours en action dans son Eglise par son Esprit.

 

  1. En cette année consacrée à Saint Joseph et à la Famille, nous confions toutes nos familles humaines à la sollicitude et à la protection de la Sainte Famille de Nazareth pour un engagement toujours plus renouvelé pour la vie. Que Saint Joseph, le protecteur de la Sainte Famille nous y aide.

Salut, gardien du Rédempteur,

Époux de la Vierge Marie.

À toi Dieu a confié son Fils ;

En toi Marie a remis sa confiance ;

Avec toi le Christ est devenu homme.

O bienheureux Joseph,

Montre-toi aussi un père pour nous,

Et conduis-nous sur le chemin de la vie.

Obtiens-nous grâce, miséricorde et courage,

Et défends-nous de tout mal.

Amen.

 

Que Dieu vous bénisse et vous donne la vie en abondance !

 

Donnée ce jour, 23 Mai 2021

En la fête de la Pentecôte 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Archevêques et Evêques de la Conférence Episcopale Burkina-Niger.

 

 


  • Mgr Laurent B. DABIRE, Evêque de Dori, Président de la CEBN

 

  • Cardinal N. Philippe OUEDRAOGO, Archevêque de Ouagadougou

 

  • Mgr Paul Y. OUEDRAOGO, Archevêque de Bobo-Dioulasso

 

  • Mgr Laurent LOMPO, Archevêque de Niamey

 

  • Mgr Gabriel SAYAOGO, Archevêque de Koupela, Vice-président de la CEBN

 

  • Mgr Lucas K. SANOU, Evêque de Banfora

 

  • Mgr Ambroise OUEDRAOGO, Evêque de Maradi

 

  • Mgr Joseph SAMA, Evêque de Nouna

 

  • Mgr Joachim OUEDRAOGO, Evêque de Koudougou

 

  • Mgr Der Raphaël K. DABIRE, Evêque de Diébougou

 

  • Mgr Justin KIENTEGA, Evêque de Ouahigouya

 

  • Mgr Modeste KAMBOU, Evêque de Gaoua

 

  • Mgr Pierre Claver Y. MALGO, Evêque de Fada N’Gourma

 

  • Mgr Prosper KONTIEBO, Evêque de Tenkodogo

 

  • Mgr Prosper Bonaventure KY, Evêque de Dédougou

 

  • Mgr Théophile NARE, Evêque de Kaya

 

  • Mgr Léopold Médard OUEDRAOGO, Evêque auxiliaire de Ouagadougou

 

  • Mgr Alexandre Yikyi BAZIE, Evêque Auxiliaire de Koudougou


 

 

Mgr Laurent B. DABIRE

 

 

 

Président

[1]Benoit XVI, Discours pour les vœux au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, 8 janvier 2007 Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 2007, p. 2 ; La Documentation catholique 2373 (2007) 115 ; AAS 99 (2007), p.73.

[2]Bonayi DABIRE, « Les politiques démographiques », in COMMISSION EPISCOPALE CERAO DE LA FAMILLE, La famille et la santé de la reproduction, Actes du colloque-Atelier, Abidjan, du 29 mars au 02 avril 2005, p. 138.

[3]M. SCHOOYANS, L’Evangile face au désordre mondial, Fayard, s.l. I998. p. 29 – 30.

[4]M. SCHOOYANS, L’Evangile face au désordre mondial, Fayard, s.l. I998. p. 14.

[5] Cf. Loi № 025-2018/AN du 31mai 2018 portant Code pénal et celle № 049-2005/ AN du 21 décembre 2005 portant Santé de la reproduction.

[6] Aux Philippines, au Nicaragua, au Brésil et au Mexique, par exemple.

[7]Cf. R. L.-M. Mika Mfitzsche, « Vie, démographie et développement en Afrique sub-saharienne » in RUCAO, 21 (2004) 43.

[8]Jean-Paul II, « Allocution à Salvador de Bahia » (6 juillet 1980), in Documentation Catholique, n° 1791, col. 777.

[9]Jean-Paul II, Lettre aux familles, Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 1994, n° 9.

[10]Cf. JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique Familiaris Consortio, Libreria Editrice Vaticana, Vatican, 1981, n°28.

[11]François, Exhortation apostolique post-synodale Amoris Laetitiae  (19 mars 2016), n° 83.

[12]Selon l’expression du Pape Jean-Paul II : « pour que soit sauvée la famille africaine : « Ne laissez pas bafouer la famille africaine sur sa propre terre » ». Jean-Paul II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa(6 mai 1994), n°84.