Thème : « Le Sacrement de la Réconciliation dans le cadre du Jubilé de la Miséricorde »
0- Introduction
Le Recteur m’a demandé de parler du : « Sacrement de la Réconciliation dans le cadre du Jubilé de la Miséricorde ». J’ai pensé qu’il serait judicieux d’élargir la perspective en parlant plus globalement du rapport entre réconciliation et Jubilé de la miséricorde. La réconciliation avec Dieu et son prochain est en effet l’un des aspects importants de l’année jubilaire. Avant de développer ce thème, je voudrais évoquer quelques lignes de forces de ce Jubilé de la miséricorde.
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I-Sens et Objectifs du Jubilé de la Miséricorde : devenir miséricordieux comme le Père en redécouvrant et en faisant l’expérience de la miséricorde de Dieu
1.1- Qu’est-ce qu’un jubilé?
Dans le langage courant, un jubilé marque l’anniversaire d’un événement joyeux, religieux ou profane.
Dans la tradition biblique, « jubilé » vient de l’expression hébraïque « yôbel » qui désigne une corne de bélier qui servait de trompette avec laquelle on annonçait l’année de grâce ou année sainte (cf. Lv 25,10-13).
Dans le Nouveau Testament, Jésus accomplit le jubilé antique en prêchant une année de grâce du Seigneur (cf. Is 61,1-2; Lc 4,16-225) : c’est une année de rémission des péchés et des peines pour les péchés, un temps de réconciliation, de conversion et de pénitence, un temps d’engagement envers Dieu et ses frères les hommes.
Dans la tradition catholique, la célébration des jubilés remonte au XVème siècle et se situe dans la perspective biblique qui se résumait en une Année de remise des dettes, de libération des esclaves, de repos des terres…
Ordinaire ou extraordinaire, l’Année jubilaire est appelée aussi Année Sainte parce qu’elle est essentiellement destinée à promouvoir la sainteté de vie des croyants par le moyen des rites sacrés, des œuvres de charité ou de miséricorde spirituelle ou corporelle (Cf. Catéchisme de l’Église Catholique 1992, 2447). Je vous cite en passant les quatorze œuvres de miséricorde.
Les sept œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.
Les sept œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui doutent, enseigner ceux qui sont ignorants, réprimander les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes importunes, prier Dieu pour les vivants et les morts.
1.2- Objectif du Jubilé de la Miséricorde
Le Pape François, en proclamant une Année Sainte de la miséricorde, voudrait donner une place centrale à la Miséricorde divine qui constitue du reste sa devise figurant sur son blason : « Miserando atque eligendo » (par miséricorde et par élection). Dans sa sollicitude pastorale, le Souverain Pontife désire aider « l’Église à rendre plus évidente sa mission de témoin de la miséricorde » en tant que signe vivant de l’Amour du Père et lieu de manifestation de sa sollicitude.
« Dieu est amour » (1Jn 4,8) et cet Amour est rendu visible et tangible en Jésus-Christ… La miséricorde est le pilier qui soutient la vie et la mission de l’Église parce qu’elle est au cœur du message évangélique. La crédibilité de l’Église passe par le chemin de l’Amour miséricordieux et de la compassion qui ont caractérisé la vie et le ministère de son Seigneur le Christ Jésus.
Le Pape Saint Jean-Paul II disait que « Le Christ confère à toute la tradition vétérotestamentaire de la miséricorde divine sa signification définitive. Non seulement il en parle et l’explique à l’aide d’images et de paraboles, mais surtout il l’incarne et la personnifie. Il est lui-même, en un certain sens, la miséricorde. Pour qui la voit et la trouve en lui, Dieu devient ‘visible’ comme le Père ‘riche en miséricorde’ » (Dives in misericordia, n°2).
La justice n’est qu’un premier pas, nécessaire et indispensable, mais l’Église doit aller au-delà pour atteindre un but plus haut et plus significatif… Le Pape Jean-Paul II nous dit de nouveau que « L’amour, pour ainsi dire, est la condition de la justice et, en définitive, la justice est au service de la charité. Le primat et la supériorité de la charité sur la justice (qui est une caractéristique de toute la révélation) se manifestent précisément dans la miséricorde » (Dives in misericordia, n°4). Le temps est venu pour l’Église, pour ses fils et filles, de retrouver la joyeuse annonce du pardon qui est une force qui ressuscite en vie nouvelle et donne courage pour regarder l’avenir avec espérance (cf. M.V, 10). « Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde » (Mt 5,7).
Toute cette spiritualité du Jubilé de la Miséricorde a été récapitulée dans une devise et interprétée par un logo que je voudrais commenter un peu.
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II- La miséricorde dans la parole de Dieu; signification et portée
Comme l’affirme le Pape François, « La miséricorde est, dans l’Écriture, le mot-clé pour indiquer l’agir de Dieu envers nous » (MV, n°9) et mieux, l’être même de Dieu.
2.1- Miséricorde, l’autre nom de Dieu
- Le Pape François rappelle que « Miséricorde est le mot qui révèle le mystère de la Sainte Trinité» (MV, n°2) et qu’elle est la modalité essentielle de la relation de Dieu avec l’homme. « La miséricorde, écrit-il, c’est l’acte ultime et suprême par lequel Dieu vient à notre rencontre (…). La miséricorde, c’est le chemin qui unit Dieu et l’homme, pour qu’il ouvre son cœur à l’espérance d’être aimé pour toujours malgré les limites du péché » (MV, n°2). Au cœur du mystère de la Trinité, la miséricorde est aussi au centre du mystère et du ministère du Christ.
2.2- La miséricorde au centre de la personne et du ministère de Jésus
- Pour le Saint-Père, le Christ est le « visage de la miséricorde du Père» (MN, n°1). Il incarne cette Miséricorde du Père dans sa personne mais aussi dans sa mission : « La mission que Jésus a reçue du Père a été de révéler le mystère de l’amour divin dans sa plénitude (…).2.3- Signification biblique de la miséricorde
Le mot miséricorde recouvre une multitude de signification :
Miséricorde dérive du latin miseria (misère, malheur) et cor (cœur). Être miséricordieux c’est avoir le cœur plein de compassion, être sensible au malheur d’autrui.
Deux mots traduisent miséricorde en hébreu dans l’Ancien Testament : hesed et rahamim. Je voudrais m’attarder sur le deuxième à cause de sa richesse sémantique. Le mot rahamim, qui signifie l’attachement instinctif d’un être à un autre, renvoie au mot rèhèm qui désigne le sein maternel :
- Le sein maternel est le lieu où le commencement, le départ d’une nouvelle vie est possible.
- Le sein maternel est appelé aussi « entrailles » comme nous le disons d’ailleurs dans la prière du Je vous salue Marie : le fruit de tes entrailles est béni. Sous ce rapport, la miséricorde est un amour qui nous sollicite au plus profond de nous-mêmes, un amour qui sollicite nos entrailles, nos tripes. C’est pourquoi, parlant de la miséricorde, le Pape François souligne qu’« Il est juste de parler d’un amour « viscéral ». Il vient du cœur comme un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de compassion, d’indulgence et de pardon» (MV nº6).
- Dans un sens comme dans l’autre, la miséricorde est un amour qui restaure, recrée la relation avec l’autre parce qu’elle permet de repartir, de rebondir, de renaître, comme le sein maternel offre l’espace d’une vie nouvelle.
2.4- La miséricorde comme actualisation (mise en acte) de l’amour
« La miséricorde de Dieu, explique le Saint-Père, n’est pas une idée abstraite, mais une réalité concrète à travers laquelle [Dieu] révèle son amour comme celui d’un Père et d’une mère qui se laissent émouvoir au plus profond d’eux-mêmes » (MV, n°6).
Si Dieu est amour (Jn 4,8-10), la miséricorde est cet amour en acte, c’est l’amour qui se déploie devant des situations concrètes de la fragilité, de la faiblesse, de la misère, de l’offense ou du péché de l’autre. Dans ce sens, en Luc 6,36-38, l’invitation à être « miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » est assortie d’appels qui impliquent des attitudes concrètes : ne jugez pas, ne condamnez pas, pardonnez, donnez et en fin de compte donner sa propre vie. C’est cet amour que le Christ a incarné :
- Dans son enseignement (cf. la parabole de l’Enfant prodigue : Lc 15)
- Tout au long de son ministère : on peut penser à ses attitudes vis-à-vis de la femme adultère (Jn 8) de la samaritaine (Jn 4), de la pécheresse pardonnée (Lc 7,36-50).
- Et dans le don de sa vie sur la Croix (Lc 23,34ss).
À travers l’exemple qu’Il nous a Lui-même donné, le Christ nous donne de comprendre que la miséricorde est la vocation essentielle de l’homme.
2.5- Devenir miséricordieux comme le Père, notre vocation essentielle
Dans le Nouveau Testament, Saint Luc fait de l’appel à la sainteté un appel à la miséricorde. Alors que le Lévitique recommandait : « Soyez saints, car moi, Yahweh, je suis saint » (Lv 11, 44; 19,2; 20,26; cf. Ézéchiel, Is. 6, 1-5; Ex 33, 18-23; Os 11,9), Luc dira « soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6,36). Le parallélisme est évident et l’intention aussi.
C’est dans ce sens qu’en Mt 25, le Christ indique la relation avec les autres comme lieu et critère de la vérité de la relation avec Lui. « Tout ce que vous aurez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25).
En réalité, pour la Parole de Dieu, la miséricorde, où l’amour en acte, est la seule et vraie mesure de la sainteté. Autrement dit, l’appel à la sainteté est aussi essentiellement et fondamentalement un appel à l’amour et donc un appel à la miséricorde.
Si la sainteté est la vocation essentielle de l’homme dans l’Ancien Testament, l’amour et la miséricorde sont les modalités sous lesquelles cette sainteté se manifeste. En d’autres termes, la relation avec Dieu (la sainteté) doit se traduire dans la sphère des relations avec les autres (l’amour du prochain). C’est dans ce même esprit que le Pape dit qu’il a « un grand désir que le peuple chrétien réfléchisse durant le Jubilé sur les œuvres de miséricorde corporelles et spirituelles. Ce sera une façon de réveiller notre conscience souvent endormie face au drame de la pauvreté, et de pénétrer toujours davantage le cœur de l’Évangile, où les pauvres sont les destinataires privilégiés de la miséricorde divine » (MV, n°15) :
- Les sept œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts.
- Les sept œuvres de miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui doutent, enseigner ceux qui sont ignorants, réprimander les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes importunes, prier Dieu pour les vivants et les morts.
En Dieu sainteté et miséricorde coïncident. Le Dieu saint est aussi le Dieu miséricordieux et plein d’amour. Il se révèle à Moïse et à tout le peuple d’Israël comme le « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité » (Ex 33,6-7; Ex 20, 5-6).
Ainsi, devenir miséricordieux comme le Père, c’est-à-dire, devenir saint en exerçant de manière concrète la miséricorde vis-à-vis des autres, telle est notre vocation essentielle. La relation avec l’autre est donc au cœur (de la spiritualité) de l’année de la miséricorde; voilà pourquoi la réconciliation est aussi l’un des thèmes majeurs du Jubilé de la miséricorde.
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III- Année de la Miséricorde, un vibrant appel à la réconciliation
- L’année de la miséricorde est appel à la réconciliation, un appel à refaire le tissu de nos relations avec Dieu et avec les autres (en famille et en société).
3.1- à la racine de toutes nos ruptures : le péché
Le chapitre 3 du livre de la Genèse décrit bien la réalité et les conséquences du péché.
- Le péché est essentiellement désobéissance à Dieu : désobéissance à sa parole, à sa volonté, à ses commandements (RP, n°14).
- Et Il entraîne une série de rupture :
- Rupture avec Dieu (l’homme fuit l’approche de Dieu)
- Rupture avec l’autre (accusation, jalousie, envie, domination, exploitation, colère…)
- Rupture avec soi-même (honte, complexe, insatisfaction, non acceptation nous-mêmes…).
À la racine de toutes nos ruptures, il y a donc la rupture avec Dieu. D’où l’appel à la réconciliation :
- avec Dieu (la racine de toute réconciliation)
- avec les autres (en famille)
- avec les autres (en société)
3.2- La Réconciliation avec Dieu, chemin de la réconciliation avec les autres
- La réconciliation avec Dieu est la racine de toute réconciliation. C’est pourquoi le Saint-Père appelle de tous ses vœux que cette année, les croyants retrouvent le chemin de la réconciliation avec Dieu, le chemin du Sacrement de la réconciliation, pour faire l’expérience de la miséricorde de Dieu (MV, n°17-19).
- Le Catéchisme de l’Église Catholique rappelle que « L’Evangile est la révélation, en Jésus Christ, de la miséricorde de Dieu pour les pécheurs (cf. Lc 15) » (n°1846). Mais, rappelle Saint Augustin, « Dieu nous a créés sans nous, il n’a pas voulu nous sauver sans nous » (S. Augustin, serm. 169, 11, 13 : PL 38, 923). « L’accueil de sa miséricorde réclame de nous l’aveu de nos fautes. » Si nous disons : ‘Nous n’avons pas de péché’, nous nous abusons, la vérité n’est pas en nous. Si nous confessons nos péchés, Il est assez fidèle et juste pour remettre nos péchés et nous purifier de toute injustice » (1 Jn 1, 8-9) » (CEC, n°1847).
3.2.1- Diversité des péchés
« On peut distinguer les péchés selon leur objet, comme pour tout acte humain, ou selon les vertus auxquelles ils s’opposent, par excès ou par défaut, ou selon les commandements qu’ils contrarient. On peut les ranger aussi selon qu’ils concernent Dieu, le prochain ou soi-même ; on peut les diviser en péchés spirituels et charnels, ou encore en péchés en pensée, en parole, par action ou par omission. La racine du péché est dans le cœur de l’homme, dans sa libre volonté, selon l’enseignement du Seigneur : » Du cœur en effet procèdent mauvais desseins, meurtres, adultères, débauches, vols, faux témoignages, diffamations. Voilà les choses qui rendent l’homme impur » (Mt 15, 19). Dans le cœur réside aussi la charité, principe des œuvres bonnes et pures, que blesse le péché » (CEC, n°1853).
3.2.2- Gravité du péché : péché mortel et véniel
- « Le péché mortel détruit la charité dans le cœur de l’homme par une infraction grave à la loi de Dieu ; il détourne l’homme de Dieu, qui est sa fin ultime et sa béatitude en Lui préférant un bien inférieur » (CEC, n°1855).
- Le péché véniel laisse subsister la charité, même s’il l’offense et la blesse (CEC, n°1855).
- Les Péchés réservés
3.2.3- Les missionnaires de la miséricorde (MN, n°18)
3.3- La famille, lieu d’apprentissage du pardon et de la réconciliation
Le Pape Saint Jean-Paul II le rappelle dans Reconciliatio paenitentia « La rupture avec Dieu aboutit d’une manière dramatique à la division entre les frères (…). La rupture avec Yahvé tranche en même temps le lien d’amitié qui unissait la famille humaine, à tel point que les pages suivantes de la Genèse nous montrent l’homme et la femme qui, pour ainsi dire, tendent l’un vers l’autre un doigt accusateur; puis un frère qui, hostile à son frère, finit par lui enlever la vie (…). Du fait que par le péché l’homme refuse de se soumettre à Dieu, son équilibre intérieur est détruit et c’est au fond même de son être qu’éclatent les contradictions et les conflits. Ainsi déchiré, l’homme provoque de manière presque inévitable un déchirement dans la trame de ses rapports avec les autres hommes et le monde créé (…). Le mystère du péché comprend cette double blessure que le pécheur ouvre en lui-même et aussi dans ses rapports avec son prochain » (n°15).
Nous faisons tous l’expérience douloureuse de ces ruptures et blessures qui viennent briser le bonheur de tant de familles.
Lieu où l’homme est appelé à grandir dans la joie et le bonheur de l’amour, la famille est aussi le lieu où souvent l’on se blesse.
Mais, c’est là aussi que nous sommes appelés à apprendre à demander pardon et à pardonner. Si la miséricorde est notre vocation essentielle, la vie familiale est le lieu de son déploiement et de sa maturation, le lieu de réalisation de notre vocation à l’amour.
Je vous invite donc, frères et sœurs, à saisir cette année de grâce pour tourner bien des pages difficiles de l’histoire de nos familles : page des rancœurs, page du manque de pardon, page du refus de demander pardon ou de pardonner…
Le Saint reconnaît que « Bien souvent, il nous semble difficile de pardonner ! Cependant, poursuit-il, le pardon est le moyen déposé dans nos mains fragiles pour atteindre la paix du cœur. Se défaire de la rancœur, de la colère, de la violence et de la vengeance est la condition nécessaire pour vivre heureux » (MV, n°9). Que cette Jubilé de la Miséricorde nous en donne la grâce.
3.4- Témoins de l’amour et de la miséricorde de Dieu, dans un monde en quête de réconciliation
Au milieu de toutes les déchirures que connaissent le monde et nos sociétés, nous sommes appelés à relever le défi du pardon, proclamant que l’amour est plus fort que la mort. C’est la mise en œuvre concrète de cette miséricorde, vécue jusqu’au bout, que l’Église incarnera la force de cet amour qui vient à bout de tout.
Et comme nous le savons, notre pays le Burkina Faso vient de traverser une période difficile de son histoire où tant de personnes ont été blessées dans leur chair ou dans leur cœur…
+Philippe Cardinal OUEDRAOGO
Archevêque métropolitain de Ouagadougou