Et le temps de carême arriva. Temps redoutable pour les uns, temps favorable pour les autres. Parce qu’il parle de privation et de sacrifice, le carême sonne souvent tristesse chez bien des catholiques. Le père Daniel Ange à ce propos avait rappelé que «l’essence du carême ne consiste pas d’abord à nous priver de certaines choses matérielles. Si l’Église nous demande de faire pénitence, explique-t-il, ce n’est pas pour nous punir, mais c’est pour nous aider à changer». Tous les appels de ce temps n’ont donc pas d’autres objectifs qu’ à conduire les croyants à se débarrasser de l’orgueil, de l’égoïsme, de la division et de tout ce qui les empêche de vivre en communion avec Dieu, et donc en communion avec leurs semblables.
Un temps pour partager.
Vivre le carême, c’est reconnaitre que notre foi se traduit toujours par des actes concrets et quotidiens. En cette année de la miséricorde, il ne faudra pas que nous nous dispersions l’esprit à rechercher quelles résolutions prendre pour bien vivre ce temps de grâce. Le Saint-Père nous a déjà tracé les lignes dans son message, ce sur quoi insistent les évêques de notre Eglise Famille de Dieu au Burkina Faso. Il s’agit du devoir d’entretenir notre amour pour les pauvres. Le catéchisme de l’Eglise catholique dans son article 2443, assure que «Dieu bénit ceux qui viennent en aide aux pauvres et réprouve ceux qui s’en détournent», en citant respectivement les chapitres 5 et 10 de Saint Mathieu : «A qui te demande, donne ; à qui veut t’emprunter, ne tourne pas le dos» puis «vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement» ou encore, «c’est à ce qu’ils auront fait pour les pauvres que Jésus Christ reconnaîtra ses élus (Mt 25, 31-36). Les catholiques donc doivent comprendre que lorsque «la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres», c’est le signe de la présence du Christ. Ce même enseignement est repris dans l’article suivant 2444, qui confirme que «l’amour de l’Église pour les pauvres fait partie de sa tradition constante». Avec Saint Paul, l’amour des pauvres, est même un des motifs du devoir de travailler, afin de «pouvoir faire le bien en secourant les nécessiteux» (Ep 4, 28). La pauvreté dont il est question, ne s’entend pas seulement de la pauvreté matérielle, mais aussi des nombreuses formes de pauvreté qu’elles soient culturelle ou religieuse.
Le pauvre me révèle le visage du Christ
L’article 2445 quant à lui met en garde contre la course effrénée pour la richesse, en rappelant que l’amour des pauvres est incompatible avec l’amour immodéré des richesses ou leur usage égoïste. Ce qui semble être dit clairement dans les écritures par la bouche de Saint Jacques, lorsqu’il écrit sur un ton à décourager les riches qui fermeraient leur cœur au partage : «Eh bien maintenant les riches, pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous arriver». Et sur un ton plus dur encore, «votre richesse est pourrie, vos vêtements sont rongés par les vers. Votre or et votre argent sont souillés, et leur rouille témoignera contre vous : elle dévorera vos chairs ; c’est un feu que vous avez thésaurisé dans les derniers jours ! Voyez : le salaire dont vous avez frustré les ouvriers qui ont fauché vos champs, crie, et les clameurs des moissonneurs, sont parvenues aux oreilles du Seigneur des Armées. Vous avez vécu sur terre, dans la mollesse et le luxe, vous vous êtes repus au jour du carnage. Vous avez condamné le juste, il ne vous résiste pas» (Jc. 5, 1–6). Les croyants qui ont plus de chance que les autres donc, et qui reconnaissent dans tout ce qu’ils gagnent et qui rend leur vie agréable, comme venant de Dieu, doivent le lui rendre en maximisant sur les pauvres. Cette interpellation de Saint Jacques résonne plus bruyamment dans le cœur de tout patron catholique, qui doit veiller à ne garder par devers lui, ce qui est dû à ses employés. C’est le premier lieu pour lui pour exercer la recommandation de Dieu envers les pauvres. Saint Jean Chrysostome dans le même esprit, rappelle vigoureusement l’importance du soutien à apporter au pauvre lorsqu’il affirme que «ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie». Dans cette logique et toujours selon l’homme à la «bouche d’or» Chrysostome, «ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs». Et Saint Grégoire le Grand renchérira, tenant ces propos : «Quand nous donnons aux pauvres les choses indispensables, nous ne leur faisons point de largesses personnelles, mais nous leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n’accomplissons un acte de charité».
La pratique des œuvres de miséricorde
L’insistance que le Saint-Père fait sur la pratique des œuvres de miséricorde, s’enracine dans l’enseignement traditionnel de l’Eglise dont le choix préférentiel pour les pauvres est essentiel. Les œuvres de miséricorde, ce sont les actions charitables par lesquelles nous venons en aide à notre prochain dans ses nécessités corporelles et spirituelles comme la lecture du chapitre 58 du prophète Isaïe, ainsi que la lettre aux Hébreux dans son treizième chapitre, nous le demandent. Durant ce saint temps de carême, instruire les autres, conseiller, consoler, conforter sont les œuvres de miséricorde spirituelle, auxquelles les catholiques devront s’adonner. Et dans le contexte particulier de l’année de la miséricorde, ils prendront également à cœur ces autres œuvres spirituelles que sont l’acte de pardonner et de supporter les autres ou toute situation, avec patience.
Tous les évangiles relatent des récits, où Jésus nous invite à reconnaître sa présence dans les pauvres qui sont ses frères. Les privations et les sacrifices que nous pouvons endurer au long de ce temps de carême, prendront tout leur sens dans la proximité qu’ils nous permettront de réaliser d’avec nos frères. En dehors de ces objectifs, tous ces efforts ne sont que vanité. Pour y arriver, le Saint-Père nous en donne les recommandations : «Pour tous, le Carême de cette année jubilaire est donc un temps favorable qui permet finalement de sortir de notre aliénation existentielle grâce à l’écoute de la Parole et aux œuvres de miséricorde. Si à travers les œuvres corporelles nous touchons la chair du Christ dans nos frères et nos sœurs qui ont besoin d’être nourris, vêtus, hébergés, visités, les œuvres spirituelles, quant à elles, – conseiller, enseigner, pardonner, avertir, prier – touchent plus directement notre condition de pécheurs. C’est pourquoi les œuvres corporelles et les œuvres spirituelles ne doivent jamais être séparées». Les œuvres de miséricorde corporelle, consistent notamment à nourrir les affamés, à loger les sans-logis, à vêtir les déguenillés, à visiter les malades et les prisonniers, à ensevelir les morts. Parmi ces gestes, l’aumône faite aux pauvres est un des principaux témoignages de la charité fraternelle : elle est aussi une pratique de justice qui plaît à Dieu (cf. Mt 6, 2–4) : Que celui qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a à manger fasse de même (Lc 3, 11). Donnez plutôt en aumône tout ce que vous avez, et tout sera pur pour vous (Lc 11, 41). Si un frère ou une sœur sont nus, s’ils manquent de leur nourriture quotidienne, et que l’un d’entre vous leur dise : « Allez en paix, chauffez-vous, rassasiez-vous », sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi cela sert-il ? (Jc 2, 15–16 ; cf. 1Jn 3, 17).
Puissions-nous alors durant ces 40 jours qui s’offrent à nous, trouver notre bonheur en apportant plus de joie dans les cœurs des moins chanceux de notre voisinage, de notre communauté chrétienne de base, de notre service, bref de tout lieu où le Christ nous envoie en mission. La méditation de la Parole de Dieu et la prière nous y disposeront plus facilement.
Abbé Joseph KINDA